Chapitre 5 - L'indésirable (Partie 1)

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« 28 octobre.

J'ai revu William à la bibliothèque aujourd'hui. Mon inconnu n'en est plus tellement un maintenant qu'il s'est enfin présenté à moi, mais cette fois-ci c'est au milieu d'une allée que nous nous sommes vus. J'étais venue pour fumer, comme d'hab', mais j'ai tiqué lorsque j'ai vu la marque qu'il avait sur son poignet. J'avais devant moi un véritable Classé ! J'en avais jamais vu d'aussi près ! J'ai vainement tenté de garder contenance mais ça devait se lire sur ma tronche à des kilomètres que j'étais surprise. Je suis surtout restée béate, je pense. Il s'est approché de moi et j'ai vite compris pourquoi il n'a pas été très causant chaque fois qu'on s'est croisé. Il a un fort accent et parle très doucement.

- Tu peux aider à apprendre à parler ta langue et écrire ? m'a-t-il demandé, comme si j'avais l'air d'être compétente dans ce domaine.

On est retourné dehors, dans mon coin habituel, avec quelques bouquins pour enfants. J'ai rapidement remarqué qu'il avait de bonnes bases, à savoir se présenter et toutes les formes de politesse, mais le vocabulaire lui manquait et il ne connait même pas notre alphabet. Alors j'ai commencé à lui apprendre à identifier tout ce qui l'entoure. Il pige assez vite, mais il va devoir se rendre à l'évidence que je suis loin d'être qualifiée s'il veut apprendre à parler couramment ma langue. »



Annabelle suffoquait. Quelque chose enserrait sa gorge avec hargne et la laissait impuissante, incapable de reprendre son souffle. Ses doigts s'accrochaient désespérément aux mains contre sa chair pour les retirer, en vain. Elle se débattait avec l'énergie qui venait à lui manquer, mais un poids l'écrasait. Elle était piégée.

Puis, quelque chose se mit à couler sur son visage. Un liquide tiède et épais tombait gouttes après gouttes sur ses joues. Suite à ça, sa vision s'éclaircit alors que son agonie semblait ne jamais finir. Son regard terrifié dévisageait le visage tordu par la haine du tout nouveau souverain d'Organtia, Freïji, qui se tenait à califourchon sur elle pour la maintenir au sol.

- C'est ta faute ! Ta faute ! l'accusa-t-il avec hargne. Je veux que tu crèves pour ça !

La peur aux tripes, Annabelle tendit les mains vers son visage pour tenter de le repousser. Les pouces de son assaillant s'enfoncèrent davantage dans sa trachée à tel point qu'elle sentit le gout du sang dans sa bouche. Elle n'avait plus la force d'agiter ses jambes, ni de soulever son buste. Sa bouche l'implora silencieusement tandis que les larmes s'écoulaient vers ses oreilles.

- Rends-les-moi ! maugréa-t-il, le visage rouge de colère. Je veux que tu me rendes ma femme et ma fille.

Elle l'entendait à peine. Ses oreilles ne percevaient qu'un tintement lointain, peut-être celui de son cœur qui s'emballait pour la dernière fois. Alors elle ferma les yeux, résignée à son sort. La douleur s'effaçait peu à peu pour ne laisser rien d'autre qu'un infernal tournis. Une pression lui enserra la poitrine et à nouveau le son d'une cloche se fit entendre.

C'est alors qu'elle crut que son cœur loupa un battement et elle ouvrit les yeux, en retenant son souffle. Elle était allongée de tout son long dans son lit, emmitouflée dans son épaisse couverture, la tête en vrac et les idées à peine claires. Instinctivement, elle porta la main vers sa gorge et laissa l'air s'extirper de ses poumons dans une longue expiration.

« C'était juste un cauchemar », pensa-t-elle avec soulagement, la main sur sa poitrine sentant son cœur reprendre un rythme normal.

Toutefois, le son de cloche qu'elle avait perçu dans les ténèbres refit surface dans la réalité. Elle comprit alors qu'il s'agissait simplement de sa sonnerie de portable et elle tendit le bras pour le faire taire. Elle se résigna à mettre un terme à ce boucan lorsqu'elle vit apparaître le nom d'Evan sur son écran et, d'abord hésitante, elle porta le combiné à son oreille.

Annabelle Storm - Les Oubliés de l'EmpireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant