Il aurait dû savoir.
Il aurait dû se taire, baisser la tête, être le garçon modèle dont James rêvait. Ravaler ses protestations, ne pas laisser l'injustice le submerger comme une vague d'acide, accepter les critiques et les reproches sans broncher. N'était-ce pas le prix à payer pour la tranquillité de sa famille ?
Sous ses pieds, New-York étendait ses ailes infinies, ponctuées d'immeubles gris et d'arbres que l'automne avait transformé en statues de bronze. Cette vision, naguère source de réconfort, lui procura une indicible envie de vomir.
Tout allait de travers depuis son retour de l'Eclipse. Il n'était bon qu'à être une déception ambulante. Un fardeau.
Il serra les poings, ses ongles creusant des demi-lunes douloureuses dans sa chair. Ce geste ne parvint pas à effacer la sensation d'avoir une chaîne de vélo enroulée autour de la gorge — et une sonnette défectueuse à la place des cordes vocales. Il ferma les yeux, laissa le vent glacé marteler son visage. Il n'avait pas pris de manteau et frissonnait sous les assauts répétés des bourrasques.
La dernière fois qu'il avait grimpé sur cet immeuble, c'était après la catastrophe du ferry qui lui avait valu de vives remontrances de la part de Tony. Il ne lui avait fallu qu'une demi-seconde pour se hisser à son sommet.
Aujourd'hui, il avait dû se glisser dans le hall d'entrée parmi les membres du personnel de la tour, prendre l'ascenseur jusqu'au dernier étage puis errer dans les couloirs jusqu'à trouver l'échelle branlante et couverte de rouille qui menait au toit.
"Je pensais que c'était lui qui t'avait rendu ainsi, mais je commence à penser que même ton oncle Ben aurait eu honte de toi."
Au moins, le vent estompait la douleur qui battait sur son visage, souvenir douloureux de l'un des coups que lui avait administré James.
Il s'approcha du rebord du toit, s'accouda contre la balustrade. Quelques semaines plus tôt, il n'aurait pas hésiter à l'escalader et à se pencher négligemment au-dessus du vide, mais il savait que cela lui était désormais interdit.
Ou alors c'était ça, la solution ? Se pencher jusqu'à ce que le vertige s'insinue dans ses veines, fasse tourbillonner ses pensées et ses sensations et qu'il n'ait plus aucune conscience de la douleur qui pulsait dans sa peau et dans son cœur ?
"Tu n'es qu'une nuisance, Peter. Si j'avais su quel genre de délinquant tu étais, j'y aurais réfléchi à deux fois avant de te laisser revenir dans la vie de May.
— Q-quoi ? Qu'est-ce que tu... T'as aucun droit là-dessus, je te rappelle que je suis son neveu !
— Oui, son neveu. Pas son enfant. Tu n'es qu'une pièce rapportée, qu'elle a gracieusement accepté de prendre sous son aile. Il ne lui a fallu qu'une signature pour t'accepter, et il ne lui faudrait qu'une signature pour se libérer de toi."
Les mots tournaient en boucle dans son esprit, plus douloureux que n'importe quelle gifle, n'importe quel coup de poing.
Il aurait voulu pouvoir les arracher de sa mémoire. Les empêcher de se nicher dans son cerveau, de lui donner l'impression d'être misérable — pathétique. Il crispa la mâchoire, ravala péniblement un gémissement de détresse.
Pas étonnant que May passe tant de temps au travail, que Tony ne lui écrive presque plus, que Happy ait cessé de lui téléphoner. Au mieux, il devait leur inspirer de la pitié. Au pire...
"Les gens te laissent tout passer parce que tes parents sont morts, mais en vérité, tu es un fardeau, tu le comprends ?"
... Au pire, ils devaient être soulagés de ne plus avoir besoin de s'occuper de lui. De ne plus s'imposer sa présence, ses flots de parole incontrôlables, ses doutes et ses peines.
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Behind green eyes
FanfictionIrondad / Spiderson. Parfois, les super-vilains ne sont pas ceux que l'on croit - c'est ce que découvre Peter lorsque May lui présente James, son nouveau compagnon, au demeurant charmant et amical. Et lorsque Spider-Man ne lui permet plus de tenir t...