Je pensais avoir tout vu. J'avais connu la solitude, les cauchemars à yeux ouverts, les entités aux cris de verre brisé. Mais ce que j'avais vécu dans l'eau... ce n'était pas normal. Une partie de moi avait voulu rester, se dissoudre dans les abysses. Mourir, peut-être. Et ça, ce n'était pas moi. C'était elle. L'entité. Une présence glissée dans ma tête comme un poison lent.
Mais Gale m'a tirée de là. Littéralement. Et dès que je l'ai vu me sourire, tout ce brouillard dans ma tête s'est évaporé. Ou peut-être juste recroquevillé dans un coin, attendant son heure.
Peter n'avait pas pu me prévenir. Il n'en savait presque rien sur cette chose du niveau 7. Super. C'est toujours sympa de découvrir qu'on est à deux doigts de sombrer dans la folie après coup.
Mais maintenant, il fallait avancer. Pas de temps pour digérer les traumatismes, parce que le niveau 8 ne laisse aucun répit.
Ce n'est plus un cauchemar. C'est l'enfer. Et cette fois, il a des murs.
Ce niveau est un enchevêtrement infini de grottes sombres, tortueuses, étouffantes. Chaque son résonne comme un cri dans une cathédrale de pierre. Chaque écho peut être un piège. Ce n'est pas une métaphore. Faire du bruit, ici, c'est signer son arrêt de mort. Alors j'ai retenu ma respiration. J'ai appris à marcher comme une ombre. Et j'ai répété ces mots comme une prière :
Ne pas mourir.
Ne pas mourir.
NE PAS MOURIR.
Mes vêtements étaient encore trempés. L'eau glaciale avait engourdi mes bras, mes jambes, mes pensées. Mais mes livres étaient secs, merci à la pochette plastique. Petit miracle. Un bout de rationalité dans un monde qui ne l'est plus.
Je levai les yeux vers Gale. Il allait bien. Pas de blessure. Juste ses cheveux trempés collés à son front et ce sourire en coin. Celui qui disait "ça va aller", même si rien n'allait.
-Merci, ai-je murmuré. Je sais pas ce qui me serait arrivé sans toi.
-J'en sais rien non plus, dit-il en s'allongeant sur le sol, mais ce truc-là... c'était pas naturel.
Il avait l'air fatigué. Et... inquiet. Gale. Inquiet. Ça foutait encore plus les jetons que l'endroit lui-même.
On n'a pas eu le temps d'en dire plus. Un faceling adulte est passé à quelques mètres. Inoffensif, en théorie. Mais sa simple présence a suffi à nous faire taire.
Il fallait se concentrer. Sur l'objectif : no-clip vers le niveau 9. Mais cette fois, ce n'était pas un objet à toucher ou une porte à traverser. Non. Il fallait le penser.
Traverser le sol avec l'esprit.
Peter avait écrit quelques théories dans ses carnets : se déconnecter de la réalité, lâcher prise, visualiser la transition. Mais comment faire ça dans un lieu infesté d'entités prêtes à te bouffer à la moindre respiration ?
On est restés planqués, immobiles, à peine un souffle. Mais ça ne suffisait pas. Un voleur de peau a surgit. Puis un chien. Puis... une meute entière d'entités. On a couru. Gale m'a attrapée par le bras et on a filé, les grottes défilant autour de nous comme un labyrinthe vivant. Les murs semblaient se refermer. Les entités étaient partout. On s'est glissés dans une anfractuosité du mur, serrés l'un contre l'autre, respirant à peine. Un Clump est passé, ses membres élastiques sautillant grotesquement, cherchant le moindre bruit, quand j'ai tourné la tête, je l'ai vu.
Elle.
L'entité du niveau 1. Celle qui me fixait depuis le tout début. Avec ses membres démesurés. Son sourire fendu comme une blessure. Aucune trace d'elle dans les carnets de Peter. Nulle part. Comme si elle n'existait que pour moi.
Comme si elle vivait en moi.
Je frissonnai. Je fermai les yeux. Et je dis :
-Gale, j'essaie de no-clip. Faut que tu fasses pareil, ou on mourra ici.
Je ne pouvais plus réfléchir. Alors j'ai ressenti. Je me suis visualisée dans l'eau. Là où rien ne fait de bruit. Où tout est lent. Flottant. Silencieux. Le monde s'est mis à vibrer. Tout ralentissait. Mon estomac se retournait, mon cœur battait trop fort. Mais je tenais. Je tenais. Je me sentais glisser... traverser... fondre dans la pierre.
Et soudain, le goudron.
Le choc fut brutal. Je hurlai.
Un lampadaire m'éblouit. Des bâtiments m'entouraient.
Une ville.
Je venais d'atteindre le niveau 9.

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BACKROOMS
TerrorSi, par hasard, ce journal se retrouve dans le vrai monde, ceci n'est pas pour vous. Refermez-le et essayez d'oublier quoi que ce soit de tel existe. Car l'existence d'un dédale sans fin menant à la folie ou à la mort peut vous faire perdre la tête...