Tuer le père : Dernier jugement

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Le juge se racle la gorge tout en desserrant le col qui étrangle son cou adipeux. Lorsque l'on prononçait des mots d'une telle importance, il était nécessaire de chauffer sa voix autant que le chanteur qui préparait son outil avec des vocalises.

- Pan Sylveronce, vous avez reconnu tous les faits qui vous sont reprochés. En tant que représentant de la justice qui délivre la sentence j'aimerai vous laisser une dernière occasion de vous exprimer.

Il reste silencieux, la tête baissée. Tous les yeux du tribunal sont posés sur lui. La soif de justice a laissé place à une hypocrisie ambiante où le procès n'est devenu rien d'autre que la scène d'une pièce de théâtre dont les spectateurs ne souhaitent qu'une chose, en connaître le dénouement. Ils ne sauraient se faire attendre, alors le juge étend son bras bouffi et tremblant, le marteau de la justice entre ses mains. Le geste implacable, frappant le marteau contre le socle de bois, est aussitôt interrompu. Dans un coin du fond de la grande salle, un immense phorzeker à la fourrure blanche et une mystérieuse ombre féminine sont adossés contre le mur. Se détachant de la paroi, l'énutrof avance. À mesure qu'elle s'approche du juge elle fait grincer ses griffes le long du mur en pierre.

- Excusez-moi votre honneur, avant d'entendre votre indiscutable décision, j'ai une proposition à vous faire.

On pouvait sentir le vent de frisson qui parcourait tous les membres du tribunal en voyant le phorzerker avancer. Il était rare de voir un énutrof sous cette forme en dehors des moments de bataille. Le règlement stipulant bien que le public n'avait pas le droit de venir armé, personne ne peut nier que les griffes et les crocs d'un phorzerker étaient bien plus efficaces que n'importe quelle lame et pourtant... techniquement, elle n'enfreint pas la règle. Une goutte de sueur perle sur le front du juge, il desserre son col mouillé.

- Heum... madame je veux bien vous entendre, mais pourriez-vous prendre une forme plus convenable à la discussion ?

Elle pose le regard sur ses griffes.

- Oh ! Je suis vraiment désolée, je ne m'étais pas rendue compte. À vrai dire, je reviens tout juste d'une chasse aux tofus et malheureusement je n'arrive pas à reprendre forme humaine par ma seule volonté, il me faut être très fatiguée, vous comprenez. Mais si vous insistez, c'est avec plaisir que je vous invite à venir m'épuiser.

Les gardes s'apprêtent à pointer leurs armes en sa direction, mais elle reprend la parole immédiatement.

- Oh... loin de moi l'idée de faire outrage... Mes plates excuses.

Elle imite un geste de révérence.

- Mais, écoutez-moi. Il me semble évident que le pauvre garçon n'a pas toute sa tête. Il suffit de le regarder pour le constater et je dois vous avouer que je suis docteur et directrice d'un asile situé à Sufokia. Je pense que sa place se trouve la bas, sous haute sécurité bien sûr. Moi, Guenievre, m'en chargerai personnellement.

Elle fait scintiller ses crocs d'or d'un large sourire, contrastant avec la blancheur immaculée de sa fourrure.

- Ce serait en effet une possibilité intéressante... mais qui paiera pour son internement ? Si vous croyez que les caisses de Bont—

- Je paierai !

Une grimace tord son sourire en pensant au kamas qu'elle devrait débourser.

- Je n'arrive pas vraiment à comprendre ce qui vous tient tant à coeur mais... soit.

Le marteau de la justice frappe le socle de bois.

F l a s h b a c k

Dans la moiteur de la caverne qu'il a choisi comme refuge, il repense au face à face qu'il a tenu avec cet individu des ombres. Celui qui portait le même visage que lui. Quand il avait reprit connaissance, il avait disparu, ne laissant derrière lui que l'angoisse empoisonné du mystère et des questions sans réponses. La garde bontarienne quant à elle ne s'était pas faite attendre. Accusé de meurtre et sa tête mise à prix, il aurait été aussitôt jeté dans les cachots de la capitale s'il n'était pas parvenu à fuir les hommes armurés.

Les Faiseurs de ChaosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant