4- Bouffon

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Kilian, 8h32
Lundi 2 Septembre

L'alarme incessante de mon réveil siffla.
Ce n'était pas la simple musique habituelle let's hear it for the boys du film footloose qui me réveillais chaque matin, mais mon incontrôlable petit frère Valerio qui sautait sur mon lit, en se trémoussant comme un dingue et répétait en boucle que c'était la rentrée.

J'émis grognement de mécontentement et je lui balançais mon oreiller à la figure.

Comment même c'était possible d'avoir autant d'énergie dès le matin ?

Je me redressais pour le déposer au sol en le soulevant par les aisselles et éteignis mon radio réveil dans la foulée. Ceci dit, il faisait moins de bruit que Valerio.

Je me levais pour enfiler un jogging et grogna encore à moitié endormi :

- Où est Saly, punaise ?

- Elle a fait des pancakes.

Il me tendit la main pour que je le suive, et je regrettais de l'avoir attrapée quand il se mit à courir pour dévaler les escaliers.

L'odeur des pancakes arriva jusqu'à moi et je pris le temps d'humer, l'odeur familière de la rentrée.
Saly nous faisait des pancakes à chaque fois.  Depuis ma première rentrée.
C'était une habitude que j'avais rapidement adoptée.

En me rapprochant du plan de travail de la grande cuisine de mon père, je pus voir une assiette débordante de cette pâtisserie que j'aimais tant, accompagné d'une bouteille de sirop d'érable.

J'en pris un que j'arrosais généreusement de sirop avant de croquer dedans à pleine bouche. Je m'adossais contre le comptoir et mis ma main sous la pâtisserie au cas où ça coulerait. Val, lui était à table juste en face de moi

- Oh Saly, tu gères un max ! m'exclamais-je, en fermant les yeux de plaisir.

Ils étaient fondant, sucrés et tellement bon, nom d'un chien ! Ils avaient le don de me mettre de bonne humeur, et quand j'avais un coup de spleen, j'empruntais sa recette. C'était ma madeleine de Proust, en quelque sortes. Elle sourit, heureuse de nous faire toujours autant plaisir après toutes ses années.

- Bonjour mes grands, nous salua papa aussi réveillé que moi. Bonjour Saly.

- Bonjour Monsieur Nuñez.

Il déposa un baiser sur le front de mon petit frère attablé devant une pile bien plus grande que lui de ces petites crêpes dont nous raffolions tous les deux, puis me sourit, avant de rejoindre la machine à café. Des fois, même moi je me demandais comment il ferait pour tenir sans elle. Pour rire Val et moi l'avions renommée Martha il y a quelques années. Depuis c'était resté.

Au début Saly préparait aussi le café – toujours un double expresso – de notre père. Puis il avait décrété qu'il voulait le faire, alors il le faisait.

J'observais mon père du coin de l'œil. À chaque fois que je le faisais j'avais l'impression qu'il changeait encore un peu plus. Ses yeux un peu plus cernés, ses cheveux un peu plus blancs, son dos un peu plus vouté en réponse à ce drame qui frappait notre famille.

Et pourtant quand il sera au bureau, il sera parfaitement peigné dans son costume cravate, le visage lisse sans aucune marque de ses problèmes personnels, et le dos droit prêt à diriger son équipe comme il le faisait si bien depuis tout ce temps.

Je serais toujours admiratif de l'homme qu'était mon père.
Il était tellement fort.
Je crois que si j'avais été à sa place, je n'aurais pas pu faire tout ce qu'il accompli de nos jours, mais je sais aussi que ce qu'il fait, il fait pour nous. Pour maman. Et pour Val et moi. Pour que nous puissions avoir une belle vie, sans être dans le besoin.

Comment dire « te quiero » ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant