VII-Rires

40 2 0
                                    


Je suis assise dans le canapé. Pierre est dans le bureau en train de travailler. Oslo vient vers moi. J'ai remarqué que lorsque je suis en crise, il réagit différemment. Evidemment quand je perds connaissance je ne m'en rends pas compte, mais lors d'une autre crise, comme une crise autistique ou de dissociation. Quelques dizaines de minutes après, mes bras commencent à faire des gestes bizarres. J'essaie de les contrôler mais rien n'y fait. Ca faisait longtemps que je n'étais plus consciente lors d'une dissociation. Je sens que mon corps se lève, et se dirige vers un mur. Oslo se lève, je suppose qu'il se demande ce que je fait. Il se met à coté de moi, et décide de lui-même d'aller chercher Pierre. Je sens que mon corps continue d'avancer contre le mur, comme un personnage de jeu vidéo qui buguerait. Je sens qu'on me prend par les épaules et qu'on me dirige vers le canapé. Mon corps s'assoit, et j'entends de loin mon copain qui me parle. Je comprends pas vraiment ce qu'il dit, je sais que mon corps fait toujours des ronds avec mes poignets. Je sais que je dis des choses mais je ne sais même pas quoi. Ma tête se tourne vers mon copain, je remarque qu'il a son téléphone et qu'il rit. Je ne sais pas pourquoi en fait, mais je n'arrive pas à réfléchir. Je crois que mon corps tente de se lever mais Pierre refuse. Il continue de filmer, et je perds connaissance. Je me réveille en toussant, comme d'habitude, tentant de reprendre de l'oxygène dans mes poumons. Je fais souvent des malaises après mes crises de dissociation. Je suis allongée sur les genoux de mon copain, je souris et maugrée un « coucou » il me regarde d'un air bienveillant et me caresse les cheveux. Après avoir repris mes esprits, Pierre me montre les vidéos. Je dis vraiment n'importe quoi, on dirait que je suis sous l'emprise de l'alcool ou de je ne sais quelle drogue. Oslo reste à nos côtés et lorsque je perds connaissance colle sa truffe contre mon visage et me lèche les mains. Quand Pierre arrête de me regarder ou fait mine de se lever il grogne et lui aboie dessus. Il l'attrape par une manche et l'oblige à rester près de moi. Quand je me réveille, il a l'air très content et secoue sa queue. La vidéo s'arrête là. Mon copain a aussi pris un petit rituel, lorsque je suis inconsciente il prend un selfie de nous deux. Dans sa galerie, entre les voitures et les souvenirs de tournages, des dizaines et des dizaines de selfies s'entrecoupent. J'ai toujours voulu savoir à quoi je ressemblais quand j'étais en crise. Ces crises qui font peur à tant de gens mais qui font parties de mon quotidien. Malgré leurs fréquences, je crois que je ne m'habituerais jamais. Comment s'habituer à revenir à soi, par terre le plus souvent, des gens inconnus autour de vous ? Cependant depuis quelques temps quelque chose a changé : je ne me souviens toujours de rien sauf de lui. Quand je le vois en crise ou après une crise je le reconnais. C'est la première personne avec laquelle cette sensation se fait ressentir. Sur le coup je ne me souviens pas de tout, juste qu'il est important pour moi, et surtout, qu'il m'aime. Après mes crises, Pierre me demande :

« Tu es allée aux toilettes aujourd'hui ? »

C'est une question bête, je ne sais pas si beaucoup de couple se posent cette question. Mais lui me la pose plusieurs fois par jour. J'oublie d'aller aux toilettes, comme j'oublie de boire ou de manger. Je ne sais pas comment déchiffrer les messages que m'envoient mon corps alors je ne ressens pas forcément le besoin. Comme je ne m'en souviens pas, j'y vais dans le bénéfice du doute, et effectivement ma vessie avait envie de se vider. Après mon affaire, je remarque qu'il n'y a plus de papier toilette.

« Pierre ? Tu peux me passer du PQ ? »

Je l'entends rire.

« Aller fais paston gamin ! »

Je l'entends enfin se lever et marcher vers les toilettes. Il ouvre la porte en grand et me passe le rouleau.

« T'es pas obligé d'ouvrir la porte en grand tu sais ? »

Il sourit malicieusement.

« Oui, mais je peux mieux te voir comme ça. »

Je lui balance à la figure le rouleau vide et referme la porte. Un truc incroyable avec lui, c'est qu'on peut s'amuser. On peut partir dans des fous rires, on peut plaisanter, on peut parler de cul, en faire des blagues comme il aime tant faire. Je suis toujours heureuse dans ces moments là , c'est vrai que la maladie est toujours présente, mais on arrive à s'amuser. C'est quelque chose que j'avais jamais réussi à faire avant.

ProbablementOù les histoires vivent. Découvrez maintenant