XII-Pourquoi ?

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Je vais voir ma psychologue. Elle a son cabinet dans un immense bâtiment qui est aussi un hôpital de jour. J'ai toujours mes rendez-vous en fin d'après-midi, les patients sont le plus souvent rentrés ou en consultation. La séance se passe bien, j'arrive à me libérer de certaines choses que je gardais pour moi. Je sors de la consultation et marche dans le couloir, j'ai mes écouteurs et mon casque anti-bruit. Parler de mes sentiments me fatigue donc je me protège comme je peux. Je me dirige vers l'ascenseur dans un dédale de couloir. Une main m'agrippe soudainement l'épaule. Je sursaute et recule. Deux hommes me font face. Ils agrippent mon t-shirt et le déchire. Ils mettent leurs grosses mains sur mon corps. J'essaie de me débattre mais je ne fais pas le poids. Je me retrouve à moitié nue dans un couloir, sachant que personne ne peut venir m'aider. Un des hommes se déshabillent, j'essaie de lutter, de les frapper, de les griffer, de partir mais ils me retiennent et me font mal. D'un coup, une douleur indescriptible me traverse le corps. Je hurle de douleur. C'en est trop, j'ai trop mal, j'attrape mon casque anti bruit et frappe. Frappe, frappe, frappe sans réfléchir. Je me précipite dans l'ascenseur, les laissant à moitié assommés. Je remonte mon pantalon. Je suis choquée. Je crois que je ne me rends pas compte de qu'il vient de se passer. J'ai mal. J'ai mal sur mon corps et dans mon corps. Je sors du bâtiment. Pierre et Sylvain rigolent ensemble. Ils me voient sortir et leurs sourires s'évanouissent. Pierre se précipite vers moi.

« Qu'est ce qui s'est passé ? »

Je n'arrive pas à parler. J'ai trop mal. Mes deux agresseurs sortent du bâtiment pour me chercher, ils voient que je suis dans les bras d'un homme et courent vers une voiture. Je les regarde avec effroi. Mon copain comprend. Il s'élance vers eux, enfourche la moto de Sylvain et démarre. Son ami crie son prénom. Je hurle :

« Pierre ! »

Il freine un peu mais remet des gaz pour poursuivre la voiture. Je pleure. Sylvain s'approche de moi. Il me prend dans ses bras. Il me rassure. Je tente de retrouver ma respiration. On prend la voiture de Pierre et on se dirige vers l'hôpital. Je ne sais pas si je suis prête à me faire examiner. Je sais que Sylvain est à mes côtés, il ne me quitte pas. Arrivés aux urgences, je vais m'assoir, je ne peux pas rester debout, je tremble trop. Il explique à l'accueil ce qu'il s'est passé. Immédiatement, une dame vient avec un fauteuil roulant pour m'emmener en box. Je prends la main de mon ami dans la mienne. Je ne veux pas le lâcher. Il ne faut pas que je le lâche. C'est mon seul repère. Mon seul point d'encrage. La suite est floue. Je ne maîtrise rien de ce qu'il se passe. J'ai mal. Les soignantes se présentent à moi. Ce ne sont que des femmes. Elles sont gentilles. Je crois. Elle constate les hématomes sur mon corps, les ecchymoses laissées par les mains de mes agresseurs. Mes seins ont changé de couleurs : un panache de bleu, de violet et de jaune s'y confondent. Mes cuisses aussi. On me dit qu'une gynécologue va m'ausculter. Sylvain me regarde, il se demande s'il doit rester avec moi. Tant de personnes ont déjà vues mon corps, un de plus ou une de moins... On lui donne une chaise pour qu'il s'asseye à côté de moi. Je ne peux m'empêcher de penser à Pierre : où est-il putain ?! Je ressens une sorte de colère envers lui. L'examen se finit et les soignants ont récupérés l'ADN de mes violeurs. Ils vont pouvoir les envoyer à la police pour les identifier. J'irais porter plainte. Je ne sais pas quand, ni comment mais je sais que je vais le faire. Il faut que je le fasse. Je me rappelle cette phrase que j'avais dite à Pierre « je n'arrive pas à en vouloir aux autres » c'est vrai je crois que je n'en veux pas à ceux qui viennent de me faire du mal. Si je n'étais pas en vie, ce ne serait pas arrivé, si ces deux personnes n'avaient pas eu de traumas durant leur enfance, ils ne m'auraient pas violée. Si je n'avais pas été malade, je ne serais pas allée chez ma psychologue et je ne me serais pas retrouvée là. C'est de ma faute, encore une fois. Je m'en veux. Mais j'ai la main de Sylvain sur mon épaule et l'autre dans les miennes. Je n'ai pas pensé à lui. Il doit subir le fait d'être ici et de s'occuper de moi sans savoir quoi faire. On est toujours perdus face à la violence. Mon ami me ramène à la maison. On ne parle pas. Je ne sais pas quoi dire. Arrivés à la maison, je vais prendre une douche. Je suis habillée, je m'assois par terre, laissant l'eau couler sur mon corps. Sylvain doit se rendre compte qu'il ne peut pas me laisser seule. Je me sens sale, toutes les mains qui ont touchées mon corps me laissent des tâches. Sylvain rentre dans la salle de bain. Il me déshabille, règle la température de l'eau. Je ne m'étais pas rendue compte qu'elle était brûlante. Il se met en caleçon et vient à côté de moi. Il se met juste à côté de moi. Il ne dit rien. Il n'y a rien à dire. Ensuite, il éteint l'eau et me savonne. Je suis toujours en pleurs. Il finit de me doucher. Je vais dans la chambre chercher des vêtements. Je lui balance un caleçon et des affaires de Pierre. Je reste dans la chambre m'habiller. Je vois des câbles et commence à faire un nœud avec. Stop. Je veux mourir. C'est trop. Il faut pas que je continue de vivre. J'attache le câble au plafond. Je la passe autour de mon cou. Ça va s'arrêter. Ça va aller. Je vais terminer ma vie. Plus que quelques minutes de souffrances. C'est peut-être la meilleure chose à faire après tout. Sylvain toque à la porte. Je ne réponds pas. Il rentre dans la chambre, me voit, s'approche et parle doucement. Il enlève les câbles de mon cou, me prends par la main et croise nos doigts. Il m'emmène dans le salon. On s'assoit sur le canapé, je me couche sur ses cuisses, il lisse mes cheveux. J'ai plus envie de vivre. Mais là, allongée sur mon ami, je laisse mon esprit partir. Je fini par m'endormir. Je me réveille quand j'entends la porte d'entrée s'ouvrir. Sylvain est aussi réveillé. Pierre arrive, il est couvert de sang.

« Qu'est-ce que tu leur as fait ? »

Sylvain se lève pour partir. Je dis :

« Non. Sylvain. Reste. »

Pierre s'approche de moi et veut me prendre dans ses bras j'explose alors :

« Ton rôle ça aurait d'être là avec moi ! Tu peux pas te pointer comme ça !»

Il me sert contre lui, je le frappe avec mes poings contre son torse en pleurs.

« Ton rôle de copain c'est d'être avec moi, mais c'est Sylvain qui a dû me rassurer ! J'ai voulu me suicider ! Tu imagines ?! Ça aurait dû être toi avec moi à l'hôpital ! Et tes genoux quand je me suis endormie ! »

Il me sert contre lui pour un câlin de force. Je m'extirpe :

« Laissez-moi tranquille un peu, je vais sortir prendre l'air »

Sylvain me regarde.

« Tu vas pas faire de conneries ? »

Je crie :

« Comment tu peux me demander ça ?! Mon petit copain a butté des mecs qui m'ont violée il y a quelque heure et j'ai pris une douche nue avec son meilleur ami ! »

Je sors, verse l'intégrité de mon compte en banque sur le sien, enfourche sa moto, enlève les cases, et traîne jusqu'à la maison d'à côté. Je démarre. Je ne sais pas conduire une moto. Je le fais au feeling. Pour une fois, ça fonctionne. Pierre m'appelle, je sens qu'il essaie de contenir le stress dans sa voix :

« Amy. Pourquoi je viens de recevoir un versement de ton compte en banque ? »

Je ne réponds pas.

« Désolée pour la moto »

Il me demande où je suis. Sylvain remarque les affaires par terre dans la cour. J'entends mon copain crier au bout du fil :

« Elle a pas le permis et elle a jamais conduit une moto, merde ! »

Il court vers la voiture. Dans ma tête des images de moi morte, contre un arbre, la moto défoncée, pleine de sang, et les gyrophares des pompiers qui arrivent. Il faut que j'accélère, le plus vite possible. J'aperçois un arbre. Je ne peux pas. Je ne peux pas mourir. Pas depuis que j'ai rencontré Pierre. Ils me retrouvent, je suis assise par terre en larmes. Il me porte et me met sur la banquette arrière. Pierre prend la moto et rentre. Sylvain conduit la voiture. Il me parle de Pierre, de son aspect plus que protecteur envers moi. Il n'a jamais autant fait attention à quelqu'un que moi. Sylvain nous laisse tous les deux. Je recommande à mon copain de prendre une douche. Comme Sylvain avec moi auparavant, je l'accompagne le voyant démuni. Il garde la certitude que tuer les mecs était la meilleure idée. J'apprends qu'il a tabassé et s'est fait frapper en retour mais que personne n'est mort. Il a raccompagné les deux hommes à la police. Quand il me parle, je le rince et vois l'eau rougir par son sang, avant d'être avalée par l'évacuation. Son visage n'a pas trop pris de coups, ses mains en ont donnés. Enormément. Beaucoup trop pour moi.

ProbablementOù les histoires vivent. Découvrez maintenant