Le cliquetis d'une clef tournant dans la serrure retentit. Mon père ! Je descends les escaliers quatre à quatre, mes cheveux roux détachés voletant autour de ma tête, et le salue :
-Bonsoir P'pa.
-Coucou ma puce. Ça va ?
-Plus ou moins... le prof a encore passé tout le cours d'HMT à tenter de nous faire croire à ces conneries.
Il pousse un soupir.
-Ma chérie, je sais que la mort de ta tante a été un choc pour toi, pour moi aussi d'ailleurs, mais tu sais ce que je pense de ces rêves que tu fais...
Ah oui, j'avais oublié de préciser. Ma mère est morte quand j'avais cinq ans et mon père s'est fait la malle. Donc ma tante m'a recueillie et elle est pour moi ce qui se rapproche le plus d'une mère. Du moins, elle était. Elle est morte l'année dernière et mon père n'a eu d'autre choix que de revenir. Il m'a fait voir toutes sortes de psys quand je lui ai raconté mes rêves mais aucun n'a pu me soutirer la moindre information et depuis, il persiste une certaine gêne entre nous... Évidemment que je lui en veux encore de m'avoir abandonnée au moment où j'avais le plus besoin de lui !
Il reprend :
-On cherchera un autre psy et ça s'arrangera vite. L'état n'a aucune raison de nous mentir, enfin ! s'emporte-t-il alors. Il est temps que tu grandisses un peu, tu as quinze ans maintenant et l'âge de cesser de voir des complots partout ! Tu n'es plus une enfant !
Il respire profondément et se masse les tempes.
-Et puis cesse d'être vulgaire. Ta mère et ta tante n'aimeraient pas t'entendre parler ainsi.
-Va te faire foutre, papa, murmuré-je d'une voix blanche avant de tourner les talons pour me précipiter dans mon endroit préféré de la maison, mon refuge.
Le laboratoire de tata Lucie. Elle était médecin et faisait des recherches pour trouver un remède aux maladies telles que le cancer, le sida...
Moi, je l'ai retransformé en un labo où j'étudie les fossiles de végétaux, j'essaie d'en recréer des vivants pour "renaturer" la planète. En secret, bien sûr. Mon père croit que je suis passionnée de chimie et que je pratique toutes sortes d'expériences bizarres ici, c'est pourquoi il n'y met jamais les pieds : il déteste les expériences bizarres.
Il y a quelques jours j'ai vu une graine qui dépassait d'un fossile. Après l'avoir maladroitement extraite, je l'ai plantée. Et peu après j'ai découvert une jeune pousse, d'un vert si mignon (j'ai toujours été bizarre) que je voulais la prendre dans mes bras ! Avant de me rappeler qu'elle était fragile (il n'aurait pas fallu que je l'arrache, tout de même). Ainsi donc, depuis hier matin, la seule plante connue sur cette Terre (et encore par très très peu de monde -juste moi, en fait) se trouve dans mon labo et sous MA responsabilité ! Connaissant ma maladresse légendaire, c'est très dangereux pour elle. Mais bon, on fait avec les moyens du bord, comme on dit, et je crois bien être une des seules humaines à pouvoir me tenir à moins d'un mètre d'un plantule sans retenir (ou pas) un hurlement et courir avertir la MRD. Le seul hic : je ne sais pas de quelle végétal il s'agit. Quelque chose qui ne prend pas trop de place, j'espère. Et comestible de préférence.
...Même si je sais qu'il y a peu de chances, j'ai tant besoin d'espérer... espérer que cette planète ait encore un avenir, malgré tout ce que les Hommes lui ont fait subir, espérer qu'il soit possible de faire revenir l'avant, avant la guerre, avant le désert, avant la mort de la nature... avant Nous.
Qu'on revienne au temps où c'était encore la vie qui régnait... et non la mort.
Cet avant-là, que je rêve toutes les nuits, me manque tellement et pourtant je ne l'ai jamais vu, jamais vécu...
Tiens, on frappe à la porte. Mon père ! Mince, j'avais complètement oublié que je devais préparer le dîner aujourd'hui...
Je me lave les mains puis j'attrape un oignon. Après l'avoir finement haché, je jette les petits morceaux dans un bol que je mets de côté avant de faire revenir des lardons puis d'ajouter de la crème fraîche. En parallèle je mets les pâtes à cuire. Bientôt un délicieux fumet se dégage.
Mes pâtes à la carbonara sont prêtes !
Je sers le tout avec du poivre et du parmesan puis j'appelle mon père.
Il approche, l'air renfrogné.
-On mange quoi ?
Je fais un geste en direction des assiettes. Attrapant ses couverts , il commence à manger en silence. Au bout de quelques minutes ça devient pesant alors pour briser le blanc je lance :
-C'est bon ?
Seul le silence me répond.
Ouvrir la bouche est sans doute un effort trop dur pour lui. Ce qu'il peut être chiant, des fois...
Décidant que c'est peine perdue de le faire parler, j'avale le contenu de mon assiette puis je débarrasse et je monte en vitesse dans ma chambre.
C'est une pièce de forme ronde aux murs vert pomme. Elle est joliment meublée par, entre autres, un bureau en bois d'ébène et un lit simple fait du même matériau.
Je viens de m'écrouler dans mon lit quand cette horrible voix retentit dans mon dos :
-Puis-je vous être utile, Mademoiselle...
Je la foudroie du regard, mes yeux verts plantés fermement dans les siens.
-Non ! hurlé-je avant d'enfouir ma tête sous mon oreiller.
Puis tout devient noir.
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Comme les deux ailes d'un papillon (Anna)
Teen FictionEn 2117, la terre a été dévastée par la guerre. La pollution a gagné, la nature a perdu. Anna Rise a 15 ans et chaque nuit elle rêve du monde d'avant. Le jour de ses 16 ans, elle fugue, elle part loin, très loin, seule. Mais après quelques semaines...