Chapitre 6

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Ça y est. Le stage est arrivé.

Je me lève tôt ce matin, toute stressée par la semaine qui m'attend.

A 6h30, je suis dans la cuisine, en train de manger. Il me faudra des forces pour affronter la MRD, d'autant plus que je devrai simuler la joie d'y être tout en écoutant tout, observant tout. Le moindre petit détail aura son importance si je veux avoir une chance de gagner ce combat pour un monde meilleur. Cette lutte sans merci entre l'Homme et la nature n'a que trop duré, il est temps qu'elle cesse enfin.

Je suis lasse de cela, je suis lasse des autres, ceux qui n'ont pas encore percuté que chaque robot qu'on construit est comme un minuscule coup d'épée porté à la Terre, cette Terre déjà si affaiblie par notre folie. Ceux qui n'ont pas encore compris que chaque fois qu'ils se réjouissent de l'absence de plantes, d'animaux, du contrôle qu'ont les humains sur la présence ou non de vie sur Terre, c'est comme une trahison à nous-mêmes et à notre monde. Je suis fatiguée d'eux et de tout cela, et plus rien ne m'empêchera de mettre fin à ces abominations. 

Ruminant mes sombres pensées, je ne me rends pas compte que mon père s'assoit à côté de moi, avant qu'il ne se manifeste d'un petit toussotement. Je sursaute et, par réflexe, j'écarte ma chaise et détourne le regard. Il dit maladroitement :

-...Bonjour, Anna.

Je sens la gêne dans sa voix et je pense que mon comportement suffit à pointer la mienne du doigt...

En effet, ce que j'ai dit il y a quelque temps l'a... plus blessé que je l'aurais cru. C'est la première fois, en deux semaines, que nous nous adressons la parole.

Après un gros blanc qui dure, dure, duuuure si longtemps que je m'étonne que les vitres ne volent pas en éclat tant la tension est tangible, je murmure :

-Je suis désolée, papa.

Avant d'éclater en sanglots. Gênant, très gênant.

Il me tend maladroitement un mouchoir, mais reste à bonne distance. Il n'a jamais été très doué pour les relations père-fille (chose qu'il m'a transmise, d'ailleurs).

Tout à coup, une voix métallique retentit dans son dos.

-Bonjour, Monsieur Rise. Puis-je vous être utile ? Vous apporter le petit-déjeuner, peut-être ?

C'est Nasty Bobby, l'automate de mon père. Plus utile sans doute que Pomme, moins "amical" (si tant est qu'on puisse considérer Pomme comme amicale).

Quand il était jeune, papa aimait les noms bizarres : il l'a appelé comme ça et le nom est resté. Je crois qu'il avait juste la flemme de changer - connaissant mon père, c'est carrément possible.

Nasty Bobby, donc, se rend dans la cuisine et revient avec un chocolat chaud et un croissant pour mon père.

Tous nos aliments sont fabriqués à partir de l'Ersatz. Nous l'appelons comme cela car c'est justement un ersatz à tout ; il prend le goût de ce pour quoi il est programmé. C'est en fait un champignon cultivé en laboratoires et dont nous modifions l'ADN à notre guise. Charmant comme nourriture !

...Je n'ai même pas besoin de cuisiner le soir, mais j'aime l'idée qu'au moins une partie de mon repas soit faite par l'Homme. Je crois que personne ne comprend cela, mais ce n'est pas comme si j'espérais changer le monde en cuisinant moi-même mes pâtes. Sinon, la situation serait encore plus désespérée qu'elle ne l'est déjà.

Après avoir fini mon petit-déj, je monte m'habiller. Depuis le couloir, j'entends des rires provenant de ma chambre, et je reconnais immédiatement le timbre caractéristique des robots. Il n'y en a que deux ici... Pomme et Nasty Bobby ?! Alors ils s'entendent bien ! Ce qui veut dire que.. tout n'est pas perdu ! Ils peuvent ressentir des émotions !

Mais pourquoi me l'a-t-elle caché ?

...ENFIN. Peu importe, puisque cela veut dire que nous pouvons être amies ! Je toque avant d'entrer et les salue calmement :

-Bonjour Pomme, Bonjour Nasty Bobby.

-Bonjour Mademoiselle ! Pouvons-nous vous aider ?

-Oui, je souhaiterais m'habiller, s'il vous plaît, auriez-vous l'obligeance de me laisser seule ?

-Bien sûr.

Ils sortent en se tenant la main.

Je choisis un jogging gris très large, ainsi qu'un tee-shirt doux et élastique. Par-dessus, un poncho coloré.

Je redescends, passe mes baskets, attrape mon sac et après un "salut" moyennement enjoué à mon père, j'y vais. Dans la cour, je croise Pomme et l'étreins brièvement avant de lui dire :

-Écoute, je sais qu'on ne se connaît pas très bien mais on pourrait être plus proches. Si tu veux te confier à moi dès mon retour, n'hésite pas, OK ?

Un petit sourire au coin des lèvres, elle me répond :

-OK.

-Alors salut !

-Oui, à bientôt !

Et c'est toute gaie que je repars sur le chemin qui mène aux écuries.

Seller Amphitrite me fait repenser à mon rêve : dans un mois déjà, c'est mon anniv ! J'ai intérêt à me grouiller si je veux être prête...

Mes écouteurs sur les oreilles - oui papa, je sais que non, ce n'est pas bien - je monte sur ma jument et pars au petit trot en direction de la ville.

Comme les deux ailes d'un papillon (Anna)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant