La pré-Élitienne cachée

Chapitre 1

Pas une nymphette ne circulait dans les couloirs du château à cette heure de la soirée. Pourtant, les lieux étaient bien gardés, malgré une apparente impression de laisser-aller dans la protection des lieux et de ses habitants. Pour Morgane, l'exercice était bien amusant. Elle goûtait au plaisir de se fondre dans l'ombre d'une statue ou de grimper sur les hautes colonnes, perchée loin de la lumière des torches des surveillants, pour s'infiltrer dans les lieux avec naturel.

Ses yeux de sirène n'avaient pas changés, eux au moins, lors de sa transformation en humaine. Elle avait donc pu conserver sa vision nyctalope et en usait allègrement.

L'Élite n'était pas loin, mais l'ancienne pré-Élitienne souhaitait tester le niveau de la garde royale, avant de donner un petit rapport à ce sujet à l'ordre des Trente. Elle se doutait que débarquer de nul part, avec un arbre doré et la plume de son lit, ne lui vaudrait sans doute pas des acclamations. Mais les suspicions ne lui faisaient pas peur. Elle trouverait un prétexte, comme toujours, et ensuite, la Grille épineuse s'ouvrirait pour elle, lui donnant accès aux meilleurs cours de tout le royaume !

Toute à ses divagations, elle ne remarqua que tardivement que les gardes semblaient avoir disparus. Morgane les avait auparavant trouvé plus compétents qu'à son époque, mais à ce rythme elle allait faire un rapport incendiaire à ce sujet ! Même le directeur Magimel aurait été obligé de mêler l'Élite à la garde royale pour relever le niveau ! À quoi servait de laisser de mauvais gardes en poste, s'ils n'étaient même pas fichu de faire leurs rondes régulièrement ?

Elle s'autorisa à marcher jusqu'à un couloir désert, sans même prendre la peine de longer les murs. Elle attendait au contraire d'attirer l'attention de quelqu'un, n'importe qui... mais rien. Au hasard de sa marche, elle monta celles d'un long escalier, jusqu'à entendre des râles. Ses pieds la poussèrent à ralentir, jusqu'à presque trébucher sur un corps déjà mort. Un garde royal était adossé à une statue quelconque, le regard vide, le torse ensanglanté. C'était probablement lui que la femme avait entendu expirer, quelques instants plus tôt.

Elle tira son épée. L'heure était grave, mais ce qui l'inquiétait surtout, c'est que la lame qui avait retiré la vie à cet homme avait laissé une trace, trop fine pour les épaisses épées ou dagues de la garde royale, trop nette pour que cela provienne de la lame d'un brigand.

Pour le peu dont elle arrivait à se souvenir, Morgane croyait reconnaître une blessure faite par l'épée d'un Élitien. Et certainement par un très bon Élitien.

— Attendre un siècle pour ça...

Elle réprima un frisson en se souvenant ce qui l'avait poussée à fuir l'Élite. Ce n'était ni le lieu, ni le moment de jouer les trouillardes à nouveau. Elle devait se battre à présent.

Elle monta les dernières marches, inspira pour se donner du courage et donna un violent coup de pied dans la porte pour la pousser. À la place, elle sautilla sur place, sifflant de douleur. L'ancienne pré-Élitienne songea qu'elle avait peut-être perdu ses capacités intellectuelles au cours du dernier siècle. Ou que sa mémoire était défaillante, pour qu'elle ait oublié que déverrouiller la porte avait de la pousser fonctionnerait bien mieux que ce qu'elle venait de faire.

Son échec cuisant n'eut pourtant par la réaction à laquelle elle se serait attendu. Parce que se faire percuter par un gamin de onze ans n'avait pas fait partie des plans de Morgane. Donc elle oublia de se réceptionner correctement sur le sol et son menton percuta violemment la pierre, lui envoyant une douleur sourde dans sa mâchoire.

— Qui êtes-vous ? l'interrogea une voix enfantine mais sévère. Non, attendez, qu'est-ce que vous faites là ? Vous n'étiez pas dans ma vision...

— Dégage, tu m'étouffes, se plaignit Morgane.