Chapitre 3

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Morgane avait passé un siècle hors de l'Élite, et loin du lit merveilleux fabriqué par Gladys Andersen. Elle s'était donc très rapidement endormie lorsqu'elle s'était allongée sous les draps, sentant l'appel du sommeil la faire plonger dans un rêve indistinct.

Son objectif initial avait été de paresser un peu dans ce lit à son réveil, mais force était de constater que les Élitiens ne comptaient pas la laisser profiter de quoi que ce soit. Une voix sévère l'interpella, l'obligeant à émerger de son sommeil malgré la sensation tenace de la fatigue, croisant les yeux noirs de Louis Serra qui ne paraissait pas plus aimable que la veille.

— Morgane Scabre, vous êtes attendu à la tour du Dr Soupont pour ausculter votre arbre doré. Cela fait près d'une demi-heure que vous devriez vous y trouver, cria presque l'Élitien.

— Ah ? On ne m'avait pas prévenu...

— On vous l'a dit hier, mais visiblement vous aviez les oreilles bouchées après un siècle d'absence.

Morgane ne répliqua pas de critique, espérant plutôt que l'homme aurait la décence de se taire plus rapidement. Quand il se tut enfin, elle lui demanda où se trouvait la tour du Dr Soupont, qui ne lui évoquait rien.

— Elle ne devait pas porter ce nom à l'époque, en effet, soupira Louis. C'est certainement la tour qui utilisait déjà son prédécesseur, le médecin de l'Élite que vous avez connu.

— Ah, vous voyez que vous pouvez dire quelque chose sans crier !

Autant dire que les insultes qui suivirent démentirent la faible amélioration de politesse que Morgane avait cru déceler chez le capitaine de l'Élite. Elle ne s'en formalisa pas, préférant se diriger à son lieu de rendez-vous pour en finir au plus vite et retourner paresser dans son lit.

Les marches de la tour du De Pasteur n'avaient pas changé depuis un siècle. Morgane y distinguait les mêmes éraflures qu'à son époque, aucune pierre n'avait été déplacée, et elle sourit même en voyant une encoche qu'elle avait faite dans la porte en bois, un jour où elle avait débarqué dans le cabinet du médecin en panique, persuadée d'avoir avalé du poison.

L'alcool ne lui avait pas réussi.

Elle poussa la porte, effleurant son encoche au passage, et entra dans la pièce qu'elle ne reconnut pas du tout.

— Morgane Scabre, je présume ? lui demanda un homme élancé au visage déjà un peu ridé.

— Vous devinez bien. Vous êtes le successeur du Dr Pasteur ?

— Il faut croire que nous supposons bien. En effet, j'ai appris beaucoup du Dr Pasteur, j'ai été son apprenti dans l'Élite cinq ans avant son départ. Mais je dois vous apprendre qu'il est décédé il y a dix-sept ans, il était vieux vous savez.

— Alors que moi, je suis vieux sans en avoir l'air, c'est ça ?

— Vous ne faites pas vos 113 ans, assura l'homme avec un sourire en vérifiant un registre.

Morgane éclata d'un rire franc, amusée de voir que quelqu'un ici était chaleureux, et pas uniquement l'Élitien colosse. Elle obéit docilement aux demandes du médecin pour ausculter son arbre doré, le noircissant ou blanchissant sa luide, sans la moindre peine. De temps en tant, elle échangeait avec le De Soupont de quelques banalités. Elle finit par lui demander curieusement quel était le cas le plus grave qu'il avait eu à soigner, sans que la vie de la personne ne soit en danger.

— L'exemple que j'ai en tête et le plus récent. Je ne sais pas si c'est le pire, mais cela faisait un moment que je n'avais pas fait face à un cas grave, sans qu'il n'y ait de risque vital. C'est un Prétendant de première branche, le neveu du roi... il avait enfilé les bottes de sept lieues et s'était écrasé contre un mur.

La pré-Élitienne cachéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant