4 - Mauvaise blague

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Tim a promis de me rejoindre à l'aéroport. Les aérogares provinciales sont souvent moins bondées et les trajets pécuniairement plus attractifs, surtout lorsque c'est moi qui paie, et puis ça me ressemble assez.

Je suis donc au point de rendez-vous que l'on a fixé, mais l'angoisse de manquer mon vol m'oblige à consulter mon portable à plusieurs reprises.

— Tim tu es en retard ! grincé-je en ne le voyant pas arriver.

À présent, je m'impatiente en piétinant les quelques mètres carrés que je me suis appropriés. Impossible de rester assise plus de quelques secondes sans gesticuler et je rage intérieurement, car l'agacement s'infiltre sournoisement dans mes veines. Je m'étonne de son retard, cela ne lui ressemble en rien, moi qui vante en permanence les qualités de son éducation. Eh bien, les faits parlent d'eux-mêmes : il m'a posé un lapin.

Curieusement, les paroles de Ninon me reviennent à l'esprit « Gay ». Ce simple souvenir – absurde, bien évidemment, rationnellement il ne peut l'être – me donne le sourire malgré moi. C'est donc avec l'envie de rire et le cœur gai que je l'aperçois enfin.

Cependant, ce soudain élan de joie s'étouffe comme un feu sans oxygène lorsque je m'aperçois qu'il est accompagné de filles et même un myope sans lunette s'en apercevrait. Ordinairement, je suis encline à pardonner, jamais vindicative, mais instantanément cela me dérange, car ce comportement pour le moins étrange n'est pas en adéquation avec le Tim que je connais.

Malgré tout, il arrive quelquefois qu'il jette ses principes aux orties et ces jours-là son langage et son comportement dérapent violemment, alors je dirais qu'aujourd'hui est un jour de renonciation.

Voilà donc Tim, fils de Lord qui approche d'un pas mesuré et très digne, tel un Prince dans son château.

— Tim, je t'attends depuis un bon moment déjà et en plus tu ne viens pas seul !

— Hum... Tu m'ennuies !

Surprise de sa réponse, je m'apprête à riposter, mais son attitude change tout à coup. Il se raidit et s'allonge au maximum de sa verticale comme si un fil fixé au sommet de son crâne l'étirait. Il se grandit me toisant de toute sa hauteur.

— De nouvelles amies, me rétorque-t-il, les lèvres pincées, en brassant l'air devant lui de manière théâtrale. Si tu veux je te les présente.

— Non, sans façon ! Mais qu'est-ce qui se passe ?

— Écoute, Perle, je suis présent, je t'accompagne à l'aéroport, tu devrais être heureuse et même me remercier, me crache-t-il tout à coup au visage.

Cette fois, mon capital patience atteint ses limites. Mais où se cache l'habituel gentleman ? Indéniablement il change et la preuve est là sous mes yeux.

— C'est ça que tu appelles "accompagner" ? Laisse-moi rire !

— Nous allons couper là la conversation si tu veux bien, tranche-t-il.

— Mais Tim, quelle mouche te pique ?

Seul un rictus se dessine à la commissure de ses lèvres et je comprends instantanément que les minutes qui vont suivre ne seront pas des plus plaisantes. Aussi, les yeux plissés par la colère, mais afin de ne pas succomber complètement à celle-ci, je m'adonne à ce petit jeu qui vise à ridiculiser mentalement l'individu qui tente de m'écraser psychologiquement ou socialement. Je l'imagine donc en caleçon à fleurs, la tête recouverte d'une perruque et les dents pourries.

Ayant désormais récupéré un peu d'aplomb je m'autorise à le questionner.

— Pourquoi est-ce que tu te conduis comme ça ? C'est à cause d'elles ?

Le silence qu'entretient Tim et le regard dédaigneux qu'il me jette me permet de tirer la conclusion qui s'impose : Tim dérape complètement.

— Tu n'as pas te conduire comme ça et...

— Non ! Tu ne comprends pas ! me coupe-t-il. J'en ai assez...

Je plante un instant mon regard dans celui de Tim et ce que j'y lis est sans équivoque.

— Désolée ! Je ne vois pas vraiment où tu veux en venir mais sache que je ne suis pas polygame. Alors je ne jouerai pas à ce petit jeu avec toi.

— Bien entendu et moi non plus ! D'ailleurs afin que tout soit clair entre nous je tiens à te dire que j'en ai assez de feindre d'être en harmonie avec toi. Toi et moi ça ne marche pas, tu ne me conviens pas, tu es trop... polygramme ! C'est plutôt drôle, tu ne trouves pas ?

— Polygramme ? Qu'est-ce que tu me chantes là ?

Un doigt sur la tempe, il mime les engrenages d'un mécanisme m'invitant à réfléchir.

— Ton tour de taille, poly-gramme, ça y est tu vois maintenant ? Tu comprends la blague ?

— Mais c'est dégueulasse de me dire ça ! Sale hypocrite ! Tu mériterais que je te fasse ravaler ton insulte et que je te casse le nez par la même occasion !

Furieuse, je saisis mon unique sac et le laisse en plan avec ses pintades.

— Va te faire f...! hurlé-je sans me retourner.

— C'est donc ça, va au diable ! hurle-t-il à son tour. 

TRACKEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant