21 - Trophée de chasse

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- Chuuuut ! Silence ! ordonne tout à coup mon sauveur en se redressant de toute sa hauteur. Tu m'écoutes et tu ne tentes rien. Continue à te comporter comme si de rien n'était. Et surtout, tu ne te retournes pas ! À partir de maintenant, tu ne regardes que moi et rien que moi... tu as compris ? Nous ne sommes plus seuls...

Les inquiétantes modulations dans la voix de l'homme m'alertent tout à coup et l'angoisse me déchire. Désormais, il est impensable que je puisse continuer à absorber une once de nourriture tant ma gorge est nouée et mon appétit disparu. De plus, mon sang semble avoir cessé de circuler dans mes vaisseaux depuis que son regard s'est immobilisé au-dessus de mon épaule. Je peux déjà sentir la main malveillante de l'inconnu se poser sur moi, et mon rythme cardiaque s'accélère à tel point que l'air tari dans mes poumons me prive d'oxygène. Alors, par réflexe je tire sur mon tee-shirt pour en agrandir l'ouverture et ainsi libérer ma gorge de cette sensation oppressante.

Tout mon être tremble, mais afin de dissimuler l'angoisse qui m'envahit j'exécute la consigne qu'il vient de me souffler, à savoir me comporter comme si de rien n'était. Pourtant, mes mains semblent m'encombrer, mes doigts ne cessent alors de se nouer et se dénouer et ainsi concentrée, je résiste à l'envie irrépressible de me retourner et de découvrir ce qui se déroule derrière moi. Mais tout ce tricotage acharné de phalanges me permet de réaliser à quel point mon besoin d'être secouru est grand, car à présent je m'imagine fermement accrochée à cet homme comme à une bouée de sauvetage lors d'un naufrage.

- Et maintenant ? le questionné-je en proie à des frissons d'angoisse.

- Rien ! Rien du tout, tu ne fais rien !

- Qu'...

Bien que mes jambes soient tétanisées par la peur, il me parait impensable de patienter jusqu'à ce que le danger finisse par nous rattraper et nous engloutir totalement. Ce moment de vide d'action est comme se pencher au-dessus d'un gouffre sans en distinguer le fond laissant place à une sensation de vertige.

Aussi, mon besoin d'information est si intense que j'ouvre à nouveau la bouche, mais le regard de glace qu'il me lance suffit à me couper le souffle, alors je déglutis plutôt que de prononcer un seul mot.

Ce moment semble s'éterniser et devient une torture psychologique. Et alors qu'intérieurement je trépigne, l'homme - je vais le surnommer l'inconnu - s'anime. Il se déplace à pas mesurés, un pied après l'autre. Mais ce n'est pas tant sa manière de se tenir qui me surprend, mais celle de se mouvoir. En effet, malgré son imposante stature il bouge avec tant de souplesse, d'agilité qu'il ne dérange rien sur son passage. Aucune branche ne craque sous son poids. Le sol qui vient d'être foulé ne porte pas les traces de ses pas, il parait si léger, si fluide, aérien même. Spectatrice, je l'observe qui se ramasse. Ses genoux se fléchis sous son ventre, ses bras en extension et ses doigts ancrés dans la terre font de lui un homme-animal aux aguets attendant l'opportunité pour fondre sur sa proie.

Je suis alors suspendu à l'image qu'il me renvoie. Le temps parait arrêté, mais le chronomètre reprend sa course lorsque l'inconnu braque son regard sur moi. À l'instar des félins lors de la chasse, ses iris me fixent et il me semble dès lors devenir cette proie, celle-là même ce jour en forêt de Lyons.

Comment est-ce possible ? Est-il atteint d'une tare génitale ou bien est-ce un être porteur d'une mutation génétique rarissime ? Non, non Perle, tu divagues !

Bien que ce souvenir et cet instant précis paraissent angoissants, je ne les redoute pas. Pourtant l'homme s'apparente à un terrifiant prédateur prêt à bondir.

Aussi, ma contemplation est subitement interrompue par un bruit de gorge comparable à un grognement. Ce son guttural n'était que la pièce manquante, mais à cet instant précis le puzzle finit de s'assembler : mon sauveur et l'homme de Lyons ne sont qu'une seule et même personne. Pourtant, malgré tous ces mois passés à me cacher de cet homme aujourd'hui je m'en remets à lui, aujourd'hui je ne le redoute plus, il ne m'effraie plus, j'en ai décidé ainsi.

TRACKEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant