2 - L'animal

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Mais qu'est-ce que c'est que ça ? 

Ma raison et ma peur me dictent de me dissimuler en attendant que l'animal caché – probablement un gros sanglier solitaire – se déplace. Les grognements ou plus exactement les râles, -je ne sais pas très bien- qui parviennent jusqu'à mes oreilles ne sont pas rassurants.

Quoi de pire que d'être confrontée à un animal sauvage sur son territoire ? Malgré tout, ma curiosité est plus forte, alors retenant ma respiration, je risque quelques pas sur la pointe des pieds afin de jeter mon regard au-dessus de ce mur végétal. Pas très maligne me direz-vous.

Les bois ne représentent plus aujourd'hui les endroits calmes et les terrains de jeu que je connaissais dans mon enfance. Ils recèlent quelques fois des individus peu recommandables et risquer de rencontrer des hôtes inattendus n'est pas exclu.

Auparavant, ma sœur Kate et moi y jouions chaque fois qu'il était possible.  Nous inventions toutes sortes d'histoires de monstres dans notre cabane perchée dans les arbres jusqu'à ce que la peur soit suffisamment grande pour nous faire fuir. Mais aujourd'hui, je ne suis plus une enfant, je ne crains plus les créatures imaginaires, mais je dois avouer que ces sons terrifiants et pour le moins étranges me font paniquer. Je nage donc en plein dilemme : m'enfuir sans me retourner ou attendre bien cachée.

Malgré tout je dois prendre en considération les signaux que mon corps m'envoie car à présent l'adrénaline circule librement dans mes vaisseaux et inonde allègrement mon cerveau. Mon corps tremble de la tête au pieds. Il faut à tout prix que je me ressaisisse, je dois reprendre le contrôle et me fondre dans la végétation arborescente jusqu'à ce que l'animal décide de partir ailleurs en quête de nourriture. 

Ainsi, je me faufile entre les fougères qui dépassent fort heureusement largement ma stature et je patiente. Combien de temps devrais-je rester là ? Je l'ignore, mais finalement le bruit cesse rapidement alors je quitte ma cachette. Ainsi, après quelques secondes d'hésitation, je reprends un trot léger. Finalement, mon taux de stress diminue de manière significative ce qui me permet de retrouver un peu de lucidité J'en conclus que je n'ai croisé aucun animal, aussi étrange que cela paraisse, ni aucune âme qui vive. J'en profite donc pour ouvrir grand mes poumons et oxygéner mon corps laissant derrière moi mes instants de panique et je souris à la vie.

J'ai enfin retrouver le chemin, celui qui me conduira jusqu'au point de ralliement et lorsque je vois au loin se dessiner une silhouette j'en suis tout à fait convaincue. Pourtant, le jogger qui vient face à moi n'a rien de rassurant. Il parait très grand et malgré moi mon imagination se met à galoper comme un cheval sauvage. Pourquoi est-ce que je m'inflige ça ? Pourquoi suis je obligée d'imaginer le pire et de douter ? Ce n'est surement qu'une personne qui vient aussi se décrasser les poumons et pourtant...

— Mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?

De façon irrationnelle et complètement démentielle, je ne peux m'empêcher d'imaginer que le type est bâti comme un chêne, large, massif et très imposant. Et bien que j'essaie de rationaliser, je sens mon corps rétrécir au fur et à mesure que la distance entre nous diminue et proportionnellement mon taux de stress grimpe à nouveau en flèche.

Je dois rester naturelle, je dois respirer et surtout je dois l'ignorer, voilà mes mots d'ordre si je veux garder mon sang froid et ne pas céder à la panique naissante. Mais la distance entre nous diminue et je m'apprête à le croiser.

Je ne dois pas croiser son regard, je ne dois pas le regarder, non ! Il ne le faut pas ! Je ne dois pas flancher... Trop tard, je l'ai dévisagé !

L'homme est vêtu d'un treillis militaire, rangers et débardeurs. J'avoue que sa tenue est très étrange pour un joggeur, mais en dehors de ça, ce sont surtout ses yeux qui sont terrifiants : deux fentes prédatrices ! Voilà ce que j'ai aperçu. Il les a plissés comme un félin tapi dans de hautes herbes qui n'attend que le moment opportun pour fondre sur sa proie.

Cela me semble complètement irrationnel, mais c'est mon ressenti et si j'ai pu remarquer ses yeux de prédateur, cela signifie qu'il a vu la terreur dans les miens. À mon sens, rencontrer un homme de cette stature dans les bois alors que je suis seule n'est pas assurément un bon plan, treillis ou pas. Ne pas croiser son regard m'aurait épargné cette terreur, mais maintenant je meurs d'envie de vérifier à quelle distance il se situe derrière moi. Étant donné la rapidité de sa course, statistiquement il est loin et afin d'en être certaine je dois impérativement me retourner.

Non Perle ! Regarde devant toi ! m'ordonne ma voix intérieure.

Malgré ce que me dicte la raison, je capitule car la tentation est trop forte. Je prends donc une grande inspiration et je tourne très brièvement la tête mais à ma grande surprise le colosse se retourne également sur moi. 

Merde alors ! Fini de rire Perle ! Il a regardé, il m'a regardée, mais comment pouvait-il savoir que je me retournerai ?

L'adrénaline reflux alors comme une vague immense balayant le peu de calme qu'il me reste. Mes membres s'actionnent à un rythme effréné, mes pieds passant l'un devant l'autre tel un automate. À présent, mon esprit n'est fixé que sur le type en treillis et rangers qui de manière inéluctable reviendra sur ses pas, car il touchera ce que j'ai précédemment rencontré : le monticule de pierre, ce bout de sentier qui ne mène nulle part.

Courir, juste courir droit devant sans m'arrêter, sans plus regarder en arrière, me hurle à présent ma voix intérieure.

Mes jambes redoublent de vitesse et avalent rapidement des mètres de chemin. La température de mon corps s'élève. La transpiration inonde alors mon dos, mes joues, mon corps tout entier. Mes mains deviennent moites et la sensation de ne plus toucher terre tant ma course est automatique a quelque chose de grisant et de terrifiant, mais je prie surtout pour que l'homme aux yeux de prédateur ne me rattrape pas.

Malheureusement, des râles et des pas martèlent le sol derrière moi.  Je sais que le moment inéluctable où il me frôlera est tout proche et mon esprit fantaisiste élabore alors tout un tas de scénarios.  J'imagine déjà ses mains se poser sur mes épaules ou sur mon cou alors je m'apprête à encaisser son assaut. Mais l'homme me dépasse sans même me toucher. Il ne fait que grogner et inspirer l'air autour de lui comme un animal le nez au vent. L'aurais-je confondu avec un sanglier ? Et si c'était lui qui faisait tout ce vacarme quelques instants plus tôt ? J'en suis presque persuadée, mais il n'a rien d'un sanglier, ça, c'est certain.

Herculéen est le terme qui lui convient. Sa peau découverte est cuivrée et ses cheveux noirs attachés sur le sommet de son crâne bougent au rythme de ses foulées. Il est très athlétique, et c'est une machine de muscles en action qui court à présent devant moi. Je suis tentée de me frotter les yeux afin de vérifier s'il ne s'agit pas d'un rêve éveillé, car cet homme, à l'évidence ne s'apparente pas un sprinter qui sont de nature élancée. Il est comme une sensation dérangeante sur laquelle on ne peut mettre un nom et son aspect olympien fait de lui un véritable colosse en mouvement.

Ainsi libéré de sa proximité, je l'observe me devancer. J'avoue que j'ai hâte qu'il disparaisse complètement de ma vue et alors que je me croyais délestée de sa présence gênante, l'homme pivote et parcourt plusieurs mètres en courant à reculons.

Cette volte-face n'a duré que quelques secondes, mais mon cerveau a reçu malgré moi une menace qui permet à mon taux d'adrénaline d'exploser et mon stress d'atteindre la zone rouge déclenchant l'alerte en lettres clignotantes dans ma tête.

Ma très forte sensibilité au stress provoque alors des fourmillements dans mon corps. Mes jambes, mes mains se paralysent tout à coup annonçant ma chute imminente, puis ma vue s'obscurcit tel un rideau qui s'abat, je dérape, je perds contrôle et le noir se fait... 

TRACKEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant