28 - La rage

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— Personne ne comprend ! Je ne pensais pas qu'on irait jusque-là, mais trop tard, c'est fait ! s'exclame le boss en braquant son regard misérable, mais chargé de rage vers moi.

Pourquoi s'exprime-t-il en français ? Je l'ignore. Pourquoi s'adresse-t-il à moi ? Je l'ignore également. Une chose est certaine c'est qu'aucun de ses acolytes ne peut comprendre. Ai-je l'impression de percevoir des remords dans sa voix ? Certainement pas. Pourtant c'est à moi qu'il s'adresse.

— Les premières photos ont été envoyées sur le site de l'ambassade et la prochaine étape c'est internet. Il en suffit d'un. Il suffit qu'un seul internaute s'empare de l'information et ce sera comme une trainée de poudre, la diffusion sera exponentielle, au-delà de mes espérances.

À présent, je suis complètement désemparé. J'ai veillé Perle des jours durant en attendant que la tension et l'effervescence qui l'ont mis en liesse redescende, qu'il se reconnecte à la réalité, mais manifestement je me suis fourvoyé, mon espoir s'étouffe comme un feu sans oxygène.

Et maintenant, le convoi démarre dans la poussière et la chaleur. L'état de Perle a évolué depuis que ses poumons ont été inondés de fumée toxique et stupéfiante, car à présent elle demeure très silencieuse. Je crains qu'en ce moment son esprit soit loin, perdu dans les méandres de son agonie devenue dès lors moins douloureuse.

Bien entendu, je me suis opposé à ce qui vient de se passer, mais jugé trop dissident, voire belliqueux, je me suis fait éjecter, frapper et c'est impuissant désormais que j'assiste à sa dérive.

Le gros porc -comme le surnomme Perle- s'installe en toute quiétude sur son siège à l'avant dans le camion. Désormais, les quelques phrases prononcées en français ne semblent plus qu'un lointain souvenir, car à présent il jette un regard furtif vers l'arrière de la benne vérifiant manifestement l'état de son otage.

— Elle a l'air complètement stone, vous lui avez donné quoi ?

— Moi ? Rien ! Rien du tout ! Ils l'ont fait fumer et plus exactement ils ont inondé ses poumons de fumée de cannabis ! C'était évidemment pas une bonne idée. Vous voyez dans quel état elle est maintenant !

— Elle se tient tranquille, c'est tout ce que je demande et tu devrais en faire autant si tu veux pas morfler à ton tour !

— Ah oui et vous feriez quoi ? Vous avez besoin de moi pour veiller sur elle !

— Tu crois que tu peux faire le malin ! Tu tiens à ta famille ? Alors, boucle-la !

J'enroule donc ma tête dans mes deux bras et fixe à présent mes pieds en espérant que le boss reporte son attention sur quelqu'un d'autre que moi ou Perle. Malgré tout, il entame un monologue, car il n'attend aucune approbation, il semble simplement désireux de se convaincre en ressassant sans cesse que parcourir des kilomètres et effacer ses traces est primordial dans l'accomplissement et la réussite de son plan.

De temps à autre, je relève le menton et jette un regard vers l'extérieur. Je constate que le paysage a changé, car à présent le 4x4 roule sur un terrain herbeux, mais j'ignore la destination. Lorsque je m'aventure à croiser le regard des autres, je n'y lis que mépris, alors je m'empresse de détourner les yeux.

— Qu'est-ce que tu regardes comme ça ? me demande un des types dans sa langue maternelle.

Évidemment, je m'abstiens de répondre et replonge dans la contemplation de Perle et faute de mieux de mes pieds. Les hommes sont surexcités, mais leur vivacité me donne la nausée, car elle contraste singulièrement avec celle de Perle, étendue à l'agonie.

— Il ne nous reste plus qu'à surveiller attentivement les infos, et internet ; nos exploits seront bientôt connus du grand public, enfin je l'espère, maugrée le chef du groupe.

Cependant, au fur et à mesure que l'horloge tourne et que les véhicules continuent à parcourir des chemins terreux et chaotiques, la frustration ternit peu à peu sa joie parce que jusqu'à présent les médias n'ont divulgué aucune information.

Les heures de route s'écoulent au rythme de la trotteuse sur ma montre, seconde après seconde, minute après minute. Tout ce temps supplémentaire passé sous une chaleur accablante émousse davantage sa joie jusqu'à la transformer en rage sans nom, car la diffusion de son soi-disant scoop ne donne pas le résultat escompté, et c'est tant mieux !

— Parfait, grogne-t-il, si les photos ne suffisent pas, alors il nous reste la vidéo. Ils veulent du concret, du vivant, ils l'auront dès que nous serons arrivés.

J'ignore ce qu'il a encore imaginé, mais je redoute chaque moment qu'il passe à réfléchir parce qu'il n'en sort rien de bon.

À présent, tout le monde garde le silence. Seuls, les grincements des suspensions et quelques râles respiratoires de Perle perturbent l'ambiance très pesante qui règne dans la benne du camion. Je jette alors des regards rapides vers les hommes près de moi, car à moins qu'ils soient sourds ils ne peuvent pas feindre ne pas entendre les grésillements qui s'échappent de la gorge de Perle. Alors, n'y tenant plus je me précipite vers elle malgré les menaces qui pèsent sur moi et pose mon oreille sur sa poitrine. Ce que j'y entends ne présage rien de favorable. Aussi, mon inquiétude grandit et j'implore du regard ceux qui voyagent près de moi, mais sans succès et pourtant je pressens l'inéluctable.

Tout à coup, le boss s'exclame.

— Parfait ! Nous sommes enfin arrivés. Réveillez-la !

Nous nous observons à tour de rôle et pendant ce laps de temps chacun de nous se demande qui va la tirer de l'état second dans lequel elle est plongée.

— Maintenant ! Secouez-la, utilisez n'importe quoi, mais sortez-la de son sommeil ! Déchargez-la et mettez-la dans le bâtiment.

Les hommes s'agitent alors autour d'elle en la bousculant jusqu'à ce qu'elle semble s'animer.

— Humm...

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 22 ⏰

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