16 - Faux-pas

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Chaque matin, la journée commence par un petit déjeuner pris en commun. Puis lorsque ce temps libre est écoulé, arrive un débriefing précédé des obligations patriotiques notamment la levée des couleurs. Mais c'est le moment qui le précède que je redoute, car j'y entends régulièrement des paroles murmurées, mais suffisamment fortes pour qu'elles soient audibles. Ces remarques du type « on n'a pas signé pour chaperonner une journaliste ! Elle n'a rien à faire ici. Elle est comme un insecte indésirable ! » C'est blessant, c'est certain alors relevé le défi que je me suis fixé est le meilleur moyen de clouer le bec à ces langues acerbes. Il va sans dire que j'esquive autant que possible ces hommes, car me tenir à distance évite que leurs propos acides ne lacèrent ma détermination. Puis le débriefing s'annonce. Je n'y suis qu'une spectatrice, je n'ai pas voix au chapitre, j'écoute les échanges et les remarques piquantes me concernant sans sourciller, mais ces paroles me blessent soyez-en sûr. Enfin, lorsque les différentes stratégies avancées pour acquitter la mission sans dommage font l'unanimité, vu qu'une inexpérimentée entrave la progression, le top départ est donné. Et là c'est une tout autre ambiance qui s'installe. Mon stress s'allège avec les préparatifs. Les hommes de terrain s'organisent : peinture de camouflage, ajustement des tenues, énième vérification des équipements et des armes et lorsque tout ceci est en ordre et seulement à ce moment, le départ est donné.

Tonio m'informe du programme du jour, même si je l'ai parfaitement compris lors des différents échanges. Chacun à sa manière juge bon de me rappeler que je suis une étrangère dans un camp militaire et dans un pays qui l'est tout autant. Agacée je ne peux m'empêcher de riposter en y mettant les formes.

— Vous savez Anthonin, j'ai saisi ce que représente pour vous tous ma présence ici et ce que vous attendez de moi, inutile de me le répéter. Je ne suis pas intellectuellement diminuée, vous expliquez et je comprends, c'est aussi simple.

Tonio me scrute avec des yeux noirs et un visage fermé avant de reprendre.

— Mon devoir est de vous encadrer et c'est ce que nous faisons depuis plusieurs jours, en fait précisément depuis le jour où je vous ai récupérée à l'aéroport pour être exact !

Son ton ferme et la dureté de son visage m'invitent tacitement à capituler. Alors en dépit de la blessure intérieure ressentie je le laisse à nouveau m'expliquer le plan du jour. Malgré une position difficile au sein de tous ces hommes de terrain, je sais où se trouve ma place dès lors qu'il s'agit de photographie, car personne ne peut entrer dans ce monde-là, mon monde. Ainsi Tonio me demande de me concentrer sur le bâtiment faisant office de laboratoire, c'est comme un mécanisme bien huilé qui s'active, car instinctivement je sais quel type de matériel je choisirai. Je ne rétorque pas, mais dès son laïus terminé, je tourne les talons pour mes préparatifs. Contre toute attente, Tonio m'accompagne, mais dans un premier temps reste en retrait à m'observer. Puis, peu à peu il se montre curieux, manifestement désireux de s'instruire sur mon domaine de compétence alors, je lui fournis des informations sommaires afin de ne pas le noyer sous les techniques d'optique.

— Eh bien Citadine, c'est étonnant, vous êtes étonnante ! J'ignorais que... enfin tout ça quoi !

J'oscille à ce moment-là entre l'envie de sourire à son compliment ou bien m'offusquer de sa remarque mais mon besoin de lui poser la question me brûle les lèvres, alors je n'hésite plus une seconde.

— Anthonin, me prenez-vous pour une fille sans cervelle rien qu'en me regardant, une godiche écervelée ?

Tonio interloqué se met à gesticuler.

— Non, non absolument pas, désolé, mais j'ignorais que derrière votre... votre personnalité, vous dissimulez une férue de physiques optiques.

— Là, c'est vous qui entrez dans mon univers ! Comment vous sentez-vous, je veux dire, qu'est-ce que ça vous fait d'avoir l'air de marcher sur des œufs ?

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