Chapitre 1 AZRA

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Azra

Cinq jours ! Cela fait déjà cinq jours qu'il est parti ! Ça me paraît faire une éternité. L'église est pleine. Je ne suis pas sûre de pouvoir entrer. Pourtant il le faut. Je dois lui dire au-revoir et lui demander d'embrasser mes grands parents et mes parents pour moi. Je plaque mon mouchoir contre mon nez. L'odeur de l'orange m'apaise. Pourquoi es-tu parti si tôt mon ami et surtout pourquoi ne m'as-tu rien dit ? J'aurai pu t'aider et à défaut de te guérir, te soulager un peu. Ma grand-mère me l'a inculquée depuis que je suis toute petite : on fait plus que de l'herboristerie, on écoute les gens, on les aide. Elle disait que mon âme était pure et que c'est pour ça quelle pouvait me transmettre son savoir, sa passion.

Je regarde le plafond de l'église. Ça me semble si haut, inaccessible ! Est-ce qu'au-dessus, il y a le paradis ? Si c'est le cas, comment ça se passe là-haut entre Franklin, grand-mère Zeynep et grand-père Benjamin ?

Ouf, j'ai trouvé une place. La cérémonie commence avec une chanson de Sinatra. Il adorait ce chanteur. Il y a un écran qui passe des photos de lui et où l'on peut voir la personne qui parle. Un homme, sûrement son fils vu la description que Franklin a fait de lui, apparaît. Il nous retrace les grandes lignes de sa vie. Bien entendu, pas la moindre référence à ma grand-mère. Mon cœur se serre. Leur histoire a été balayé. Grand-mère Zeynep doit fulminer de là-haut. Même après leurs morts, personne ne veut accepter qu'ils s'aimaient vraiment ! On mentionne très rapidement mon grand-père puis l'homme m'appelle et me fait part de la demande de Franklin de venir dire un mot. J'hésite mais j'ai l'impression d'entendre trois voix m'encourager. Les jambes tremblantes, je traverse l'église. Le fils de Franklin me donne une lettre en me disant :

— C'était dans les instructions qu'il a laissé. Il voudrait que vous lisiez ça.

Je hoche la tête et m'exécute. Je croise le regard dédaigneux de sa famille au premier rang. Hé oui ! Je ne suis pas de votre monde ! Tout comme ma grand-mère ! Mais pour Franklin, je relève la tête et ouvre l'enveloppe les mains tremblantes. Je n'ose pas regarder le cercueil. Je lis ses mots.

— Ma chère amie, merci de répondre présente une dernière fois.

Je respire mon mouchoir pour calmer mes sanglots.

— Je suppose que ta chère grand-mère a été évincé du récit de ma vie.

Son fils se précipite vers moi. Je replie la lettre. Il tend la main mais je refuse de la lui rendre. Je pose ma main sur le micro pour empêcher mes propos d'être diffusés.

— J'aimerai finir, s'il vous plaît. C'est la volonté de Franklin.

Il me jette un regard noir et finit par aller s'asseoir. Je reprends :

— J'ai aimé Helen de tout mon cœur, mais elle n'était pas celle que j'ai choisi. C'était Zeynep, la grand-mère de cette charmante jeune fille à l'âme pure qui lit cette lettre.

Merci mon ami !

— Zeynep était l'Amour de ma vie. Mais les autres ont décidé qu'elle n'était pas assez bien née pour moi. Elle n'était pas de mon rang social, alors nous n'avons pas pu nous marier. Mes parents ont choisi Helen. J'ai refusé, je ne voulais que Zeynep, mais cette dernière m'a demandé d'écouter la raison et m'a fourni un élixir d'amour pour tomber amoureux d'Helen. Et ça a fonctionné. J'ai aimé ma femme et j'ai aimé encore plus celle qui s'est sacrifiée pour le bonheur des autres. L'humanité n'est pas perdu tant qu'il y aura des Zeynep, des Azra ou des Kane.

Kane, le petit fils de Franklin. Je le cherche des yeux mais il n'est pas là.

— Maintenant Azra va nous chanter l'Avé Maria.

Je m'arrête complétement paniquée et lis pour moi avant de continuer à voix haute en riant :

— Je plaisante mes amis, je vais vous épargner ça !

Ouf !

Son fils me fait signe d'arrêter. Je remercie tout le monde d'être là pour mon ami et descends.

— Partez maintenant.

— Je voudrai lui dire au-revoir avant.

Je ne peux pas partir sans l'avoir vu une dernière fois.

— Alors dépêchez-vous ! me somme-t-il.

Son fils reprend la cérémonie. Je m'avance, le cœur gros vers le cercueil et éclate de rire en le voyant. Il est déguisé en Elvis comme il le souhaitait. Je l'embrasse sur la joue. Sacré Franklin ! Je glisse dans sa poche mon mouchoir.

— Á bientôt mon ami. Embrasse les miens là haut pour moi.

Je sors de l'église en pleurant à gros sanglots. Je prends une grande inspiration. J'ai l'impression que j'ai vécu ses dernières minutes en apnée.

J'appelle un taxi pour rentrer chez moi, dans ma petite maison. Didi, ma chienne m'attend. Elle saute sur mes genoux et cale sa tête dans mon cou. En cherchant mon mouchoir, je tombe sur la lettre que j'ai lue à l'église. Je le relis et découvre la suite au dos.

« Je te confie à celui qui me semble le plus à même de reprendre ma suite. Il a besoin de toi, lui aussi. N'oublie pas que même les héros ont parfois leurs propres limites. Pour toujours dans mon cœur, à jamais dans le tien. Ton ami F »

Je ferme les yeux et le revois dans son cercueil souriant.

Mon téléphone sonne. Je réponds toujours car ça peut être un client.

— Mle Atkins, je suis Maître San Diego, avocat de la famille Thurston. Je m'occupe de l'héritage de Franklin. Seriez-vous disponible demain ? Franklin vous a mentionnée dans son testament.

— Bonjour. Je ne veux rien du tout.

— Je suis désolé d'insister mais vous devriez venir.

— Je vais m'arranger.

— Quatorze heures, c'est bon pour vous ?

— Parfait !

Je raccroche et demande :

— Franklin, qu'as-tu fait encore ?

L'élixir du bonheur Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant