Chapitre 4 Azra

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Azra

Maintenant que nous sommes passés à l'agence, je ne sais plus quoi penser. J'ai rencontré tous ces gens qui forment une grande famille et qui comptaient comme moi pour Franklin. Comptent-ils autant pour Kane ?

Je sens naître une amitié entre nous comme celle que j'avais avec son grand-père, tout en douceur et bienveillance.

Je dévore mon hamburger et mes frites. Cette réunion m'a donné sacrément faim. J'avais le cerveau en ébullition et un million d'idées en tête pour leurs futures campagnes. Kane me dévisage. Je me sens intimidée quand il me regarde comme ça. Il fréquente sans doute des gens connus et des mannequins quand il n'est pas dans la jungle ou dans le désert. Je pose mon hamburger et m'essuie les mains aussi délicatement que possible.

— Désolée.

— De quoi ?

— Mes mauvaises manières. Je n'ai pas l'habitude de manger au restaurant.

Il rit mais ne se moque pas. Il attrape une serviette pour m'essuyer le coin de la bouche.

— Ne t'excuse pas. C'est agréable de voir quelqu'un qui ne fait pas manière et qui mange à sa faim sans se soucier de prendre du poids.

— Excellent métabolisme !

Il pose sa main sur la mienne.

— Merci encore pour tout à l'heure.

— Tu m'as déjà remercié.

Je retire ma main. Ce n'est plus la peine de faire semblant. Il soupire.

— Je ne sais pas si je pourrais. Je veux dire : ces gens, des amis pour la plupart, comptent sur moi, mais j'ai fait une croix sur cette vie.

Cette fois, c'est moi qui lui prends la main.

— Ton but dans la vie c'est d'aider les autres. Là, c'est pareil !

— Sauf que d'habitude, on ne me demande pas tant de choses en échange. Tu m'as vraiment impressionné pendant la réunion et je me disais que, si j'acceptais le marché, tu pourrais venir diriger l'agence avec moi.

— Je n'y connais rien.

— Je t'apprendrais. Tu as vu l'ovation qu'ils t'ont fait ? Tu as su trouver les mots pour les rassurer. Moi, je ne sais pas faire ça !

Je lui souris, gênée.

— Je dois y réflechir. Tu comprends, j'ai ma boutique aussi.

— On peut t'aménager des heures si tu veux. Et comme tu aurais 50% de l'agence, tu auras un pourcentage sur les résultats tous les mois.

— On verra.

Le silence s'installe entre nous. Nous sommes dans nos pensées. Un vieil air de jazz commence « sitting in the dock on the bay ». Je bats la mesure sur la table puis chante en fermant les yeux. J'adore cette chanson. Quand j'ai fini je tombe sur le regard amusé de Kane et tous les clients ont les yeux braqués sur moi comme si j'avais perdu la tête. Je baisse la tête.

— Désolée si je te fais honte.

— Au contraire, je t'admire de rester toi.

— Merci.

— Tu veux un dessert ?

— Ils ont des milkshakes à la fraise ?

Il se lève, va au comptoir puis revient avec un verre et deux pailles. Je pars alors dans une discussion sur la série « Friends » et enchaine avec des souvenirs de la ferme, de mes grands-parents et du temps où j'étais le plus heureuse. Je conclus :

— Ça doit te paraître ridicule à côté de ton enfance et de tes aventures à travers le monde. En plus, j'ai parlé pendant une heure et je t'ai retardé pour prendre ton avion. Tu sais quoi ? Je rentre en taxi.

— Tu parles toujours autant ?

Mon cœur se serre au souvenir de nos après-midi avec Franklin et de notre rituel.

— Avec Franklin, on avait un rituel : on disait tout ce qui nous passait par la tête. La plupart du temps il parlait de toi et l'autre devait écouter sans rien dire. Ça pouvait durer des heures. Quelquefois, il s'endormait même sur mon canapé.

— Quand j'étais ado, il me forçait à m'exprimer, même si c'était pour lui dire des choses désagréables. C'est grâce à lui que je me suis ouvert au monde car j'étais un enfant très introverti.

Il se lève.

— Allez, je te ramène chez toi. Je peux laisser la voiture dans ton garage ?

— Bien entendu.

— Et la prochaine fois, je t'apprends à conduire.

Je secoue la tête en grimaçant.

— Ce n'est pas la peine.

Encore un sujet sensible pour moi à cause de mes parents mais je préfère ne pas en parler. Je lui suis reconnaissant de ne pas insister.

Il me dépose chez moi. Voilà, tout va redevenir comme avant : Franklin n'est plus là, Kane va disparaître, la voiture sera au garage. Je lui propose un thé. Il accepte. Sa compagnie me fait du bien, elle m'évite de trop penser à mon ami et à ma solitude.

— Tu as une idée de quel continent tu vas secourir ?

— Je ne sais pas.

— Mais tu fais toujours comme ça ?

— Non. Généralement, j'ai une association qui me guide. Avant de venir, j'étais en Argentine, je faisais une course relais en solo de 24h. J'ai récolté 25 000$ pour financer le réseau d'eau potable d'un village en Afrique.

— Un vrai héros !

— Tu parles ! Je n'ai même pas été capable de soutenir les employés de l'agence ce matin.

— C'est différent selon si ça nous touche de loin ou de près.

— Tu sais où sont les clés de l'appartement de mon grand-père ? J'aimerai y faire un saut avant de partir.

— J'en ai un double pour le cas où il perdrait les siennes.

— Vous aviez une drôle de relation quand même !

— Drôle, c'est le mot.

Ce soir, je sors une nouvelle planche de dessin pour mettre sur papier cette journée ainsi qu'un épisode de « super Kane » que je ne pourrai pas donner à Franklin. Puis j'appelle Charly pour lui raconter tout ce qu'il s'est passé.

— Là, il doit être au-dessus d'un océan.

— Ou il est resté pour toi !

— Toi et ton éternel romantisme ! On est amis, c'est tout !

— Il est quand même sacrément sexy ! Dommage qu'il ne soit pas gay !

Ou pas ! 

L'élixir du bonheur Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant