– Prune Misadre. Comme « misandre », mais sans « n ».
– Trouvée, répond la réceptionniste.
La jeune femme qui se tient derrière le comptoir a plus ou moins le même âge que Prune. Vingt-cinq ans, vingt-huit tout au plus. Difficile à dire avec ces rides désabusées qui, de temps en temps, plissent son front. Lorsque Prune est entrée, par exemple, la réceptionniste l'a regardée avec le même air que si elle avait pensé : « Hé merde. Encore une cliente ». Ou peut-être est-ce à cause des vêtements noir foncé qu'elle porte, et son médaillon honorant la Mère Lune. Prune est habituée aux préjugés que l'on réserve aux Shadonistes. Pour autant, elle a décidé d'assumer sa foi. Si vous laissez les intolérants réguler votre vie, autant s'exiler dans une forêt.
– Une nuit, une personne, chambre individuelle, déclare la réceptionniste, les yeux fixés sur l'écran de son ordinateur. C'est bien ça ?
– Tout à fait.
– Soixante-trois euros et dix centimes, s'il vous plaît.
– Je règle par carte.
– Très bien.
Prune exhibe fièrement sa carte bancaire Pluton. Ça fait un mois qu'elle l'a, mais elle éprouve toujours la même joie enfantine. Lorsqu'elle s'est convertie au Shadonisme, elle n'a pas fait les choses à moitié. Elle a changé de banque, de mode de vie et elle a même déménagé dans un quartier nocturne.
La réceptionniste ne fait même pas attention à la CB, toutefois. Pourtant, les cartes plus noires que noires sont facilement reconnaissables, et font souvent leur petit effet. « Ah, vous êtes chez Pluton ? J'en ai souvent entendu parler. C'est bien ? C'est vrai qu'ils ont des tarifs avantageux pour les Nocturnes ? Moi je trouve que c'est de la discrimination... » Et ainsi de suite.
Mais cette femme, non, elle ne fait aucun commentaire. Elle n'en a tout simplement rien à faire. Elle fixe son ordinateur comme si elle souhaitait oublier la présence de la cliente. Elle rajuste son badge accroché à son chemisier : « Karine ».
D'accord, Prune déteste les intolérants ; tout de même, elle apprécie qu'on reconnaisse sa qualité de Shadoniste. Sans quoi, c'est un peu comme si on ne prêtait pas vraiment attention à sa présence. C'est blessant.
Refusant de s'avouer vaincue, Prune déclare :
– La pleine lune est particulièrement belle, par ici.
La réceptionniste hausse les épaules.
– C'est juste la même lune.
– Ce n'est pas juste la même lune, rectifie doucement Prune. N'oublions pas que la Mère Lune nous aime sans conditions. En retour, nous lui devons bien un peu de respect.
Karine relève les yeux vers Prune, et c'est comme si elle la voyait pour la première fois.
– Ah. Vous êtes une Shadoniste, donc. Après tout, pourquoi pas.
Le début de sourire de Prune s'efface aussitôt.
– Comment ça, « pourquoi pas » ?
La réceptionniste hausse à nouveau les épaules.
– Nous sommes dans un pays libre, n'est-ce pas ? Je veux dire, si l'on oublie le carnet civique à points, le Scipion, le coup d'État et le reste. C'est votre droit.
– Je sens le reproche sous-jacent.
Bonté lunaire, encore une intolérante.
Nouveau haussement d'épaules. C'est que ça commence à être agaçant, à la fin.
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Chroniques d'un hôtel souterrain
Short StoryVous voyez les hôtels que tout le monde déconseille sur Booking? Ben voilà. L'hôtel Condor Aîmé est un hôtel souterrain au beau milieu de la campagne. Le concept partait d'une bonne intention: reconvertir d'anciennes mines de charbon. Cet immense hô...