Le journal grand ouvert sur l'article « Les chevaux morts envahissent la région ? », Karine est confortablement installée dans l'un des fauteuils de la réception, dans l'un des sièges confortables mis à disposition des clients. Même si les clients s'y assoient rarement, ils sont bien mieux lotis que le personnel : la chaise située derrière la réception fait mal au dos, aux fesses et même aux oreilles tellement elle grince.
Elle retire distraitement une paillette qui était tombée sur son chemisier. Ça vient probablement de l'une des boules de Noël suspendues au plafond. La déco est laide comme tout ; les guirlandes ne collent pas du tout à la pelle et la pioche suspendues au mur, ou aux vieilles photos en noir et blanc de l'ancienne mine de charbon. Cependant, M. de la Tyrolienne a insisté pour instaurer une ambiance de Noël, afin que les clients se sentent plus apaisés. Ça ne changera pas grand-chose une fois qu'ils seront descendus dans leurs chambres situées à plusieurs dizaines de mètres sous le sol. A priori, les guirlandes lumineuses n'ont jamais stoppé une crise de claustrophobie.
Karine savoure cette première demi-heure de calme. Jusqu'ici, pas de vampires, pas de zombis et pas de loups-garous – en fait, pas de clients. L'hôtel, qui ordinairement est plus vide que complet, est pratiquement désert ce soir-là. Le rêve. Pour un peu, elle espérerait passer un bon Réveillon.
En fait, après avoir failli mourir plusieurs fois au début du mois, et accessoirement le mois d'avant, elle s'étonne de ces deux semaines de calme. Même quand elle a bossé la nuit du vendredi 13, il ne s'est rien passé de très anormal ; à part un pervers qu'elle a failli émasculer, et l'armada de moines venue envahir la réception en clamant des prières à Sainte Barbe, patronne des mines, afin de purifier ce « lieu de déchéance ». Visiblement, ils avaient eu vent de cette histoire de zombie-démon-drogué. Comme ils s'étaient mis en tête que Karine avait été possédée par le Malin, elle avait fait semblant d'être libérée de son possesseur, ce qui a eu le mérite de calmer les moines qui sont repartis contents, bras dessus, bras dessous.
N'empêche, son stratagème a eu l'air de marcher tellement bien que ça fait dix jours que Karine n'a rien remarqué d'inhabituel.
Elle sait que ça ne durera pas.
Elle a atteint le dernier paragraphe de l'article de journal, « ... souhaitons que le mystère du cheval bipède soit bientôt éclairci avant qu'il ne fasse de nouvelles victimes », lorsqu'elle en a la confirmation.
La porte s'ouvre, pour laisser passer une grande femme brune en robe blanche, suivie d'une ribambelle de marmots.
Karine travaille depuis plusieurs mois à l'hôtel Condor Aîmé et, avant ça, elle avait été mêlée à une sombre affaire de secte et de vampire. Autant dire qu'elle a l'instinct pour les emmerdes.
Les marmots portent tous un casque en métal muni d'une lampe frontale, et tiennent chacun une ridicule pioche posée négligemment sur leur épaule. Ils sifflotent un air reconnaissable malgré les nombreuses fautes d'accord.
Comme beaucoup de monde, Karine a vu Blanche-Neige et les Sept-Nains, considéré Dieu-sait-pourquoi comme un classique. Aussi, la brune guidant les sept nabots – oui, ils sont sept, elle le devine avant même de les avoir comptés – pue les problèmes. Le fait que l'hôtel soit installé dans d'anciennes mines a tendance à attirer les fous et les mauvais plaisants. Reste à savoir dans quelle catégorie se placent ceux-là.
La grande brune en tête de la colonne de nabots s'arrête au milieu de la pièce, et dévisage Karine. Celle-ci soupire intérieurement, pose le journal et se lève.
– Bonsoir, euh, messieurs-dame. Je peux vous aider ?
– Vous êtes la réceptionniste ?
Karine hoche la tête en désignant le badge à sa poitrine indiquant son prénom.
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Chroniques d'un hôtel souterrain
Short StoryVous voyez les hôtels que tout le monde déconseille sur Booking? Ben voilà. L'hôtel Condor Aîmé est un hôtel souterrain au beau milieu de la campagne. Le concept partait d'une bonne intention: reconvertir d'anciennes mines de charbon. Cet immense hô...