Au loup ! (3/3: L'exécution)

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Lorsque Karine retourne à la réception, trempée de sueur, le visage hagard, elle trouve Prune effondrée dans un fauteuil, le visage enfoncé dans ses mains. La Shadoniste lève la tête vers la réceptionniste :

– Oh Bonté lunaire ! Gloire à Sélénis, vous êtes en vie ! Où est Mme Lupin ?

Karine secoue la tête.

– Introuvable. Je ne vois rien dans le noir.

Elle titube vers le comptoir, pose le pistolet dessus d'une main si tremblante que l'arme glisse et tombe sur le sol. Prune tressaille.

– Le... Le loup ? demande Prune. Il est encore là-bas ?

Karine ne répond pas directement. Elle s'effondre dans un fauteuil en face de Prune, et passe une main dans des cheveux décoiffés et gluants de sueur.

– Il est... Il est venu pour elle. Il l'a emportée au loin. Je n'ai pas pu... pas osé... le rattraper. J'ai à peine eu... J'ai à peine eu le temps de ramasser le pistolet qu'il est revenu pour moi. Vous vous rendez compte ? Quel genre d'animal c'est ?... Il emporte une proie, puis il lui en faut une autre aussitôt après ? Monde de dingue.

Ses yeux brillent et Prune se demande si elle va se mettre à pleurer. Elle-même chiale à grosses gouttes, sans complexer. La réceptionniste semble plus courageuse, ou plus fière, et préfère refouler l'horreur qu'elle vient de traverser.

– J'ai vidé tout le chargeur dans cette sale bestiole. Bizarrement, ça a suffi.

– Il... Il est mort ?

– J'espère bien.

– J'ai... j'ai appelé les gendarmes, comme vous m'avez dit. On... on la retrouvera, n'est-ce pas ? Mme Lupin ?

– J'espère bien, répète Karine qui semble avoir vidé toute son énergie.

Prune réalise que malgré les coups de feu, malgré les hurlements qui résonnent encore jusque dans son estomac, personne n'est venu à leur secours. Les autres clients, si autres clients il y a, dorment à plusieurs dizaines de mètres sous le sol. Il aurait pu se passer n'importe quoi, que personne n'en aurait rien su.

                                                                          * * *

Prune quitte l'hôtel le matin suivant, malgré la fatigue, après avoir emprunté des calmants au collègue de Karine. Ça permet au moins d'empêcher ses mains de trembler, et de tenir le volant sans risquer de se manger un virage.

Lorsqu'elle traverse le village d'à côté, le calme des lieux la met terriblement mal à l'aise. Ça lui rappelle la solitude de la route de campagne, la veille, quand le loup les a attaquées. Il n'y a personne dans les rues.

Personne, sauf ce gars immense, à la longue barbe descendant jusqu'au torse, aux bras tatoués. Il y a quelque chose de familier chez cet homme. Prune ne saurait dire quoi. Peut-être cette lueur dans les yeux, lorsqu'il regarde la Clio passer.

Elle a eu le temps de quitter le village depuis un kilomètre au moins, lorsqu'elle comprend.

Le soi-disant mari de Mme Lupin. Le portrait qu'elle en a fait correspondait exactement à ce type.

Coïncidence ?

Peut-être qu'il s'était perdu au cours de sa balade nocturne. Que le loup n'avait rien à voir avec lui, que c'était juste un animal sauvage qui avait trouvé le moyen de descendre jusqu'en Mayenne. Peut-être que cette Mme Lupin était complètement folle.

Mais alors, pourquoi le regard du barbu lui a-t-elle paru si familier ?

Prune frissonne. La voiture fait une légère embardée.

Il avait un petit air de ressemblance avec ce loup.

Mais alors, si les loups-garous existaient vraiment et que la réceptionniste avait fait mouche... qui avait-elle tué ?

Malgré des recherches intensives ce jour-là et au cours de la semaine suivante, le corps de Mme Lupin n'a jamais été retrouvé.

Pas sous cette forme, en tout cas.

Chroniques d'un hôtel souterrainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant