Nuit de zombis (3/4: Un mal de chien)

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Voyant que personne ne réagit, Karine attrape les bras des deux personnes les plus proches d'elle – Ravi et l'intellectuel – et les entraîne avec eux.

– Mais, que, euh, que se passe-t-il ?

– Il a été infecté.

Le complotiste blanchit.

– Mais par quoi ? C'est devenu un zombi ?

– Je ne sais pas. Pas le temps de faire une conférence.

Sans ralentir le pas, sans lâcher Ravi et l'amateur de poésie, Karine traverse l'accueil jusqu'au couloir où se trouvent les ascenseurs. Le complotiste leur emboîte le pas.

Elle risque un regard en arrière. Le chien est étendu sur le sol, gigotant comme s'il était possédé. La même pensée est venue à l'esprit du prêtre qui a dégainé son crucifix tandis que le punk crie inutilement :

– Reprends-toi, Nicotine ! REPRENDS-TOI, PUTAIN DE BORDEL DE MERDE !

Dans le même temps, le zombie pète la porte vitrée à coups de machette, faisant gicler des éclats de verre dans tous les sens.

Karine appuie sur les boutons des trois ascenseurs, en espérant que l'un d'entre eux se manifeste rapidement. Puis elle se dit qu'elle est conne ; ils pourraient s'enfermer dans la salle du personnel. Au moment où elle se dit ça, l'un des ascenseurs arrive enfin à hauteur du rez-de-chaussée avec un « ting » rassurant.

La porte métallique coulisse paisiblement.

Karine jette presque Ravi et M. Lechevalet dans l'ascenseur.

Et le prêtre ? Il fout quoi le prêtre ?

Elle retourne sur ses pas, interrompt l'ecclésiastique dans ses citations en latin.

– Êtes-vous folle ? Interrompre une séance d'exorcisme ?

– Ce n'est pas un démon, mon père.

À l'entrée, le zombi-qui-n'est-pas-un-zombi a démoli la vitre et, au lieu d'employer son intelligence à déverrouiller le hoquet, se glisse dans le passage qu'il a formé, se griffant aux vestiges de verre encore maintenus à la porte. Il ne semble pas sentir la douleur.

Machette à la main, il pénètre dans l'hôtel dans un grondement mauvais.

Et le chien commence à se relever avec une fébrilité qui ne dit rien qui vaille.

Karine agrippe le prêtre par son aube blanche et le traîne jusqu'à l'ascenseur qui commençait déjà à se refermer. Elle l'intercepte d'un pied, la porte s'ouvre lentement, trop lentement à son goût, elle pousse le prêtre furieux mais terrifié et s'engouffre après lui.

Elle entend la voix du punk derrière eux :

– HÉÉÉ, MAIS NE ME LAISSEZ PAS TOUT SEUL, BANDE D'ENFOIRÉS ! Y'A LE ZOMBI QUI ARRIVE !

Désolé, mon mignon, je ne peux pas sauver tout le monde.

Elle appuie sur un bouton et la porte se referme. L'ascenseur entame sa descente au moment où des poings paniqués martèlent la porte en métal.

– Jamais pu blairer ces nazis, grogne le complotiste luisant de sueur. Vous saviez qu'ils complotent avec les Israéliens pour...

– Ta gueule, dit Karine.

Ravi la regarde, et se recule légèrement.

Elle jette un œil à l'écran de l'ascenseur.

– Vous nous avez envoyés vers quel étage ?

– Le premier bouton venu, répond Lechevalet en s'essuyant le front. Le six, je crois.

– Oh. Bigre.

Mauvaise idée.

Le sixième sous-sol, c'est l'étage maudit. Celui où règne la loi de Murphy.

Quelle mauvaise surprise les attend encore ?

Ils parviennent sans encombre au sixième niveau – enfin un truc qui se passe normalement, ce soir. Ils quittent un à un la cabine d'ascenseur suintant la peur.

– Et... Et maintenant ? demande timidement Ravi.

– Maintenant, on essaie de réfléchir.

Elle ne croit pas à cette histoire de démon ; enfin, pas trop. D'ailleurs, ça n'expliquerait pas la réaction du chien. Elle ne croit pas non plus à cette histoire de zombi. Elle ne sait pas si mordre les morts-vivants change l'agresseur en zombi, mais elle parierait plutôt sur une drogue. Peut-être de l'amokaïne, cette drogue qui provoque souvent hallucinations et folie meurtrière. Les terroristes en utilisaient beaucoup pendant la guerre, et l'on prétend que les sectes ont suivi leur exemple. Le mec devait avoir beaucoup de drogue dans le sang pour que le chien soit contaminé rien qu'en le mordant. Et en léchant le sang qui a dégouliné partout... Putain, qui est-ce qui l'a éduqué à kiffer le sang humain, celui-là.

Elle est interrompue dans ses réflexions par le « ting » de l'ascenseur juste à côté de celui qu'ils viennent de quitter.

La porte s'ouvre. En sortent un punk affolé, et un chien enragé.

Plus tard, lorsqu'elle aura le temps d'analyser cette soirée, Karine supposera que, voyant tout le monde se barrer au sixième sous-sol – numéro indiqué au-dessus de l'ascenseur – le punk a dans la panique pris la deuxième cabine pour les rejoindre, sans prendre le temps de réfléchir. Elle supposera que le chien l'a suivi, peut-être poursuivi même, puisque le berger allemand est beaucoup trop lourd pour ce type maigre. C'est peut-être après que l'animal est devenu fou furieux. En témoignent ce pantalon déchiré, le T-shirt ensanglanté et le bras ravagé qui pend inutilement le long du corps. Le punk néo-nazi titube plus qu'il ne bondit hors de l'ascenseur, jette un regard paniqué à Karine et aux autres, puis il s'écroule lamentablement par terre.

Ils demeurent tétanisés tous les cinq, Karine, Ravi, le prêtre, l'intellectuel et le complotiste, fixant le chien aux dents couvertes de bave et de sang.

– Bigre, fait Karine.

Honnêtement, elle ne sait pas quoi dire d'autre. Et n'en a pas le temps.

Le chien bondit.

Chroniques d'un hôtel souterrainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant