𝗪𝗢𝗥𝗡 𝗦𝗧𝗢𝗡𝗘 | 𝘁𝗼𝗺𝗲 𝟭

10. Cœur et âme

Aspen

– Est-ce que tu crois que je devrais m'y rendre, Moon ?

Le silence abstrait me répond ainsi que son miaulement en se mettant sur le dos, quémandant des caresses.

La folle qui ne parle qu'à son chat.

Je me rappelle que Lennox m'en voulait pour ça. Il disait que je racontais ce que je voulais à mon pauvre chat qui ne me donnait rien en retour. Au début, je ne comprenais pas ce qu'il essayait de me faire comprendre. Mais au fil du temps, j'ai compris et ce même si c'était ahurissant - qu'il était jaloux de mon félin parce qu'à lui, je savais qu'il ne me jugerait pas. Dans les yeux de mon ex-petit ami, j'étais destinée à être celle qui avait peur du moindre bruit, qui ressentait une pression quelconque sur ses épaules. Qui, par mégarde, pensait que le moindre regard, la moindre parole abjecte ou les moindres bruits, alors c'était destinée pour elle.

Il n'avait pas tort.

Parfois, j'avais l'impression d'être au milieu du monde, que tout le monde me regardait et rigolais parce que c'était "drôle de se moquer de quelqu'un", sans excuse valable. C'était leur passe-temps. Leurs hobbies. Leurs loisirs de faire souffrir quelqu'un.

Et moi, je n'étais que cette rouquine qui écrivait des ragots parce que je vivais pour ça. Finalement, j'ignore ce qui était le mieux.

– Je ne sais pas si je suis encore prête à l'affronter, murmuré-je.

Je prends mon visage dans mes mains et fini par tirer la racine de mes cheveux. Je regarde amèrement le bateau ancrée au milieu du quartier d'Angel, et me demande sincèrement si ma nouvelle vie, c'est ça. Si je dois me confondre avec toutes mes idées lointaines, pour m'inciter à comprendre que j'ai raté ma vie. D'aussi loin que je me souvienne, je ne voulais pas habiter dans ce vieux tacot qui servait à ma mère d'un point d'ancrage. À vingt-quatre ans, je me voyais déjà marier avec un homme digne de confiance et un bambin dans l'éparage. Je n'ai récolté que ce que j'ai semé. Et le karma a sonné avant l'heure.

Je ne mérite rien d'une vie parfaite.

Bonne à me jeter par-dessus le Tower Bridge¹, ouais.

Je bascule ma tête sur le côté, regardant la photo que j'ai laissé sur le rebord de mon lit d'une place. Ma mère dans toute sa splendeur, avec ses cheveux auburn, ses yeux étirés en amande et ce sourire qui en disaient long. Ma petite personne à ses côtés, du haut de mes six ans, lui tenant la jambe comme si j'essayais de me raccrocher à la bouée de sauvetage, essayant de sourire face à l'objectif.

Même à cet âge-là, mon sourire est tout sauf sincère.

– Et toi, maman, qu'en penses-tu ?

Rien, mise à part, le silence par son absence.

Je souffle avant de me rendre à l'évidence et de suivre ce que j'ai envie. Il m'a intimé de me venger, peut-être que c'est en rapport. Ou peut-être que c'est un piège. Ou sans doute que...

– Et puis merde.

Je jure en me levant, poussant Moon qui s'était fait une place sur mon oreiller et je met les premières choses qui me passe sous la main, à savoir un jean délavé, un tee-shirt blanc imprimé en noir "Life is a whore" ²et j'enfile mes baskets blanches. Après un énième baisé sur le pelage blanc de Moon et une rasé de croquette dans sa gamelle, je sors de Garden Secret après avoir pris à la volé ma veste en jean.

La bise se dépose doucement sur Londres quand j'enjambe les barrières de la péniche - encore en désordre. À l'instant où je relève la tête, je ne bouge plus. Immobile face à mon père qui se tient face à moi, une voiture à ses côtés. Du moins, la voiture qui me tenait compagnie à Campbellsville et qu'il a visiblement rapatrié.