Prologue

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Après avoir traîné ma carcasse dans tous les bars de l'enclave, je jette mon dévolu sur le plus miteux d'entre eux « Le Corsaire ». Ici, personne ne me posera de question. Je regarde la devanture sur laquelle un drapeau de pirate est accroché. Le bar se trouve dans une rue piétonne mais très peu fréquentée, ou seulement par des toxicos ou des dealeurs. L'arche qui protège l'entrée est couvert de toiles d'araignées et de poussière. Le tout accompagné d'une odeur piquante d'urine. En clair, rien ne donne envie de rentrer dans ce bar, surtout sans le connaitre, mais je décide quand même de pousser la porte. Foutu pour foutu, ma vie ne vaut pas mieux.

Mes yeux ne mettent pas longtemps à s'acclimater à la faible lumière qui s'échappe des lustres accrochés aux murs. Les murs sont recouverts d'une tapisserie passée d'âge. Tout comme le mobilier qui est dépareillé et cassé. Le sol colle à mes chaussures, et lorsque je m'approche du comptoir le bruit de mes chaussures n'est pas couvert par la faible musique qui emplit à peine la pièce. L'odeur de pourriture et d'alcool se mélange pour rajouter du glauque à cet endroit. Il n'y a pas grand monde et les seuls clients présent ont les yeux rivés sur leur verre. Personne ne m'emmerdera ici, pensai-je en m'accoudant du comptoir. Je m'installe sur le tabouret le plus éloigné. Un endroit lugubre pour noyer mes pensées morbides. Le barman s'approche et il ressemble à son bar : vieux, crasseux et lugubre.

- J'vous sers quoi ma jolie ? demande-t-il en posant les mains sur le comptoir.

Je le regarde un instant. Son fort accent espagnol et les tatouages sur ses avants bras m'indiquent beaucoup sur sa vie passée, comme le fait qu'il était dans l'armée espagnole et qu'il a fuit la guerre pour se réfugier ici.

- Une bière.

Mon ton sec lui fait hausser les sourcils mais il me sert ma bière. Je lance deux billets sur le comptoir, qu'il saisit mais ne part pas pour autant.

- C'est la première fois que je te vois ici. Tu viens d'où ? m'interroge l'homme sans savoir que mon humeur décline avec ses questions.

Voyant que je ne réponds rien, il s'éloigne. Je fixe mes doigts sur la bouteille et la condensation coule sur le bois du bar. J'ai passé dix jours, enfermée dans le noir de mon appartement. Me repassant la scène en boucle et essayant de trouver comment j'aurais pu la sauver. Même dans mes cauchemars les plus réels je n'y parvenais pas.

Soudain, une présence à côté de moi, me tire de mes pensées. Je tourne légèrement la tête et vois un homme s'assoir à côté de moi.

- Va t'assoir plus loin, lui crachai-je sans le regarder. Le bar est vide, dégage, insistai-je avec un ton menaçant.

- Oh tout doux ma jolie, je voulais juste faire connaissance.

Il se rapproche de moi et pose sa main sale sur mon bras. Je tourne la tête lentement en étudiant l'homme. Ses ongles sont noirs de saleté et ses mains calleuses. Il porte un vieux trench troué et sale, qui lui couvre le corps. Il a une odeur de cigarette et d'urine. Son visage aussi est sale. Mais ce qui me dégoute le plus, c'est le sourire sadique qui l'arbore et qui laisse entrevoir des dents aussi noires que ses ongles. Son regard lubrique se promène sur mon corps et un frisson me parcours.

Je vide ma bière d'une traite avant de me lever pour partir. Mais l'homme en a décidé autrement.

- Allé, tu vas rester un peu avec moi mon chou, dit-il en resserrant sa brise sur mon bras pour le rapprocher de lui.

Je tente de m'éloigner mais il est fort. Son autre main se pose sur ma taille et la bille me monte à la gorge. Je regarde autour de moi pour trouver du soutient, mais aucun client n'a daigné lever la tête. Bande de connards. Mon sang commence à bouillir quand ses mains sales se promène sur mon corps.

- Lâche moi, sifflai-je.

Mon ton n'a pour seul effet que de le faire sourire plus fort. Soudain ma colère se mut en rage sanguinaire. Ma vision se trouble et se teinte de rouge. Je me redresse et tire sur mon bras plus fort. Une fois libre je lance mon poing si fort que lorsqu'il s'écrase sur sa joue, les os de sa mâchoire craquent. L'homme tombe à la renverse de son tabouret. Je me jette sur lui pour ne lui donner aucune chance de se relever. Je frappe de toutes mes forces comme un animal enragé. Son visage se macule de sang et mes poings me font mal mais je ne peux pas m'arrêter. Ordure, tu vas payer pour ça. Ma rage s'exprime dans la violence de mes poings et comme à chaque fois je perds le contrôle.

Soudain, une main me saisit le poignet au vol. Surprise je me retourne et voit le barman me retenir. Une batte de baseball dans l'autre main en guise d'avertissement.

- Il a eu son compte et toi tu dégages de mon bar, cracha-t-il en me forçant à me relever.

Je me redresse en m'adossant au bar. Aucun client n'a bougé et le silence est seulement interrompu par la respiration sifflante de mon adversaire. Je baisse les yeux sur mes mains couvertes de sang et sur lui, allonger parterre inconscient. Son visage est méconnaissable, ses yeux sont gonflés, du sang coule de plusieurs plaies sur son front et ses joues ainsi que de sa bouche. Je ne suis pas fière de ce que j'ai fait mais au moins il y réfléchira à deux fois avant d'accoster une femme qui dit non. Le barman l'aide à se lever et me regarde par-dessus son épaule :

- Je t'ai dit de dégager.

Je réalise soudain qu'il n'a pas broncher quand c'était lui qui m'agressait.

- Un homme qui agresse une femme ne vaut pas tant de soin, grondai-je en m'éloignant.

Dans la rue, la pluie qui tombe à grosse goute nettoie mes mains maculer de sang. Je longe le trottoir sans prêter attention aux gens qui court se mettre à l'abris. Soudain une vague d'émotion me coupe les jambes. Un tremblement terrible me secoue et la bille me brule les lèvres. J'ai à peine le temps de me retenir au mur que mes tripes sortent en feu de ma bouche. Je m'adosse à une vitrine en reprenant mon souffle. Je m'essuie la bouche en me laissant glisser jusqu'au sol. Mes sanglots me secouent et mes larmes inondent mes joues.

Le monde entier est détruit et moi je n'ai que faire de cette guerre. Mon monde à moi s'est effondré le jour où elle est morte. C'était ma seule raison de vivre, la seule qui maintenait ma part d'humanité à la surface, la seule qui pouvait me ramener quand je sombrais. Ils m'ont appris à survivre, à me battre et à tuer, mais elle m'a appris à vivre. Elle était tout ce qu'il me restait quand eux m'ont tout pris. Je n'ai plus de raison de maintenir cette part d'humanité en moi. Mes larmes ont cessé. Je me redresse en essuyant mon visage. J'inspire un grand coup. Je dois mettre en œuvre ce que l'on m'a enseigné : fait taire mes émotions, devenir le monstre qu'ils ne veulent pas que je sois.

SurvivanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant