Chapitre 14 - Caligula

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TW : évocation du suicide

5 mars

JOIE ! J'ai été admise à l'académie de photographie de San Francisco ! Et dire que mes parents n'y croyaient pas, ça leur a coupé le sifflet. Et comme un deal est un deal, mon père accepte de financer mes études à la condition d'aller jusqu'au bout (sinon je devrais lui rendre jusqu'au dernier foutu dollar). Mais visiblement, les photos présentées dans mon dossier ont plu, donc c'est carrément possible. J'ai tellement envie de quitter cet endroit et de partir vivre dans la ville de mes rêves. Je vois enfin mon avenir se profiler et ça me mets tellement en joie qu'il faut que je le crie à la terre entière. Mais William passe en premier. Il m'a soutenu en me disant qu'il était important de suivre son rêve tant que j'en étais capable. Je crois qu'il est vraiment temps d'avoir cette conversation. Je dois lui dire ce qu'il me fait ressentir. Et je suis sûre qu'ils sont réciproques. Jamais il n'avait eu une telle proximité avec moi avant l'autre jour au cinéma. Alors ça pourrait vouloir dire que je lui plais. Qu'il m'apprécie malgré mon sale caractère. De toute façon je ne peux plus garder tout ça pour moi. Je dois saisir cette opportunité toute comme je me suis donné les moyens d'intégrer cette école. Je suis maître de mon destin et je compte bien passer le reste de ma vie à ne pas me laisser marcher sur les pieds.



Annabelle ne reconnaissait presque plus son propre reflet. C'était pourtant bien le sien, elle n'en doutait pas. Toutefois, elle se demandait encore où se trouvait cette adolescente pâlichonne, les yeux cernés de fatigue, errante comme un fantôme et qui avait bien moins de questions existentielles.

Elle observait avec embarras la jeune femme qui lui faisait face dans le miroir. C'était Sol qui avait eu l'idée de ce maquillage qui faisait ressortir ses yeux et avait conféré un éclat nouveau à son teint. C'était Evan qui avait expliqué qu'une tenue légère et moulante était plus à propos que son débardeur estampillé de son personnage littéraire préféré. Et c'était Leag qui avait suggéré qu'elle retire son soutien-gorge pour garantir leur entrée immédiate dans la boîte de nuit. Jude n'avait rien dit, préférant ruminer dans son coin. Il ne pouvait pas l'accompagner à la rencontre de Thomas pour deux bonnes – et mauvaises selon lui - raisons. La première était sous forme pratique. Sa jambe lui donnait à peine assez d'autonomie pour de courtes sessions de marche, il lui était donc inenvisageable de traverser un lieu bondé sans prendre le risque de se faire mal. La deuxième raison était malheureusement pour lui la plus contraignante : il était encore mineur.

Lorsque Heira était rentrée dans la soirée, elle avait à peine reconnu Annabelle et l'avait détaillé si longuement que la jeune femme aurait voulu se cacher. Heira, l'aînée des enfants Anderson, partageait de nombreux traits avec ses sœurs. Elle était toutefois plus petite que sa cadette, plus enveloppée, et plus discrète en termes de caractère. Ses études l'occupaient tellement qu'une fois présentée à toute l'assemblée, elle prit congé d'eux pour rejoindre son lit. Elle n'avait pas tiqué lorsque Leag avait évoqué sa destination avec Annabelle, comme si elle s'était détachée du sujet, comme si Thomas n'était plus qu'un sujet parmi tant d'autres.

Un frisson parcourut l'échine d'Annabelle. Elle se rappela où elle venait d'arriver et son objectif. Mais à peine avait-elle mis un pied dans la boîte de nuit qu'un malaise l'avait saisi. Son sac laissé au vestiaire et Leag à ses côtés, elle s'était avancée dans ce lieu assourdissant, où l'alcool ne semblait jamais cesser de couler et où les corps remuaient au rythme des basses dont la jeune femme ressentait chaque vibration dans tout son corps. Alors son premier réflexe avait été de trouver les sanitaires, espérant y trouver un peu de calme. C'était manifestement peine perdue.

Une fois qu'elle eut détaillé l'étrangère dans son reflet et repris ses esprits, elle revint vers la foule à la recherche de son acolyte.

Elle ne tarda pas à retrouver le Pisteur qui se sentait comme un poisson dans l'eau au milieu du public enivré. Son corps élancé bougeait en parfaite harmonie avec la musique et dégageait quelque chose de tellement sensuelle qu'il attirait les regards intéressés aussi bien de la part des femmes que des hommes autour de lui. Il n'était que onze heure du soir et déjà Annabelle sentait que la nuit allait être longue.

Annabelle Storm - Les Oubliés de l'EmpireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant