Chapitre 9 - Mayri

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« La Famille Jaar c’est enrichi en exploitant les dons de téléportation des sorciers. La grande compagnie de voyage Jaar propose une offre de transport instantané à travers la Terre ! La vérité derrière cette industrie ? Des contrats abusifs, interdisant aux sorciers d’utiliser leur magie en dehors de leurs heures de travail, tout cela pour un salaire d’à peine deux euros par allé, pour les plus chanceux »
Aleksander Clyme, Justice Sociale, Réforme gouvernementale.

Le lendemain fut le réveil le plus dur de toute sa vie. Mayri n’avait pas fermé l’œil. Depuis qu’Azriel l’avait retrouvée, toutes les voix qui la hantaient durant son enfance étaient revenues et comme quand elle était petite, elles s’amusaient à la faire cauchemarder. 
Carla ne semblait souffrir d’aucun trouble du sommeil, car elle bondit hors de son lit et écarta les rideaux d’un mouvement énergique, inondant la chambre de lumière dorée. Mayri grogna dans son oreiller en priant pour disparaître de la surface de cette planète. 
En pleine mâtiné, le château était aussi agité qu’une colonie de fourmis. Les élèves passaient et repassaient, des manuels d’histoire ou de magie à la main. Mayri remarqua rapidement leurs airs détachés, presque arrogants pour certain.
Seul Carla ne semblait pas en souffrir, et malgré la distance que Mayri établissait entre elles, la jeune louve n’en démordait pas. 
– Lui, c’est Louis, un loup aussi, commença-t-elle en pointant son regard sur un blond de petite taille.
Elles traversèrent le hall supérieur. Mayri jeta un regard au concerné avant de se faire déconcentrer par une sculpture de vampire qu’elle n’avait pas vu la veille. Sa tenue et ses courbes étaient si extravagantes que même les artistes maniéristes en auraient rougis. Pourtant, l’homme gardait cette allure sombre et guindée qui ne lâchait personne ici. En l’observant de plus près, Mayri se rendit compte que sa mère arborait la même expression lorsqu’elle était enfant.
– Il est vraiment mignon, mais il est plutôt chétif. Tu sais, à cause de la division des pouvoirs. Il a un jumeau. Son frère est un penseur, comme sa mère, et lui il tient ses pouvoirs de son père, mais il a hérité du gène faible.
– La division des pouvoirs ?
Mayri se pinça les lèvres. Elle n’avait pas pu retenir sa question. Carla s’arrêta net pour l’observer avec circonspection.
– Tu as grandi au fin fond des montagnes ? J’aurais pensé que même dans ce genre d’institut d’élite on donne des cours d’éducation sexuelle.
Elle déglutit.
– Je n’ai jamais été très bonne en biologie.
C'était un mensonge de piètre qualité, mais après la scène de la veille, elle avait encore moins envie d’être prise pour l’ignorante qui avait grandi chez les humains.
– La division des pouvoirs est le phénomène génétique qui permet la procréation des êtres magiques, récita finalement la louve. Une fraction de la magie des deux parents va se fusionner avec l’embryon, mais notre magie est limitée à une seule division, ce qui nous empêche d’avoir plusieurs enfants.
Mayri hocha la tête.
– Mais il est possible d’avoir des jumeaux. Dans ce cas, la partie embryonnaire de la magie se divise elle-même, mais dans la majorité de ces cas, cette division n’est pas égale ce qui donne un jumeau plus fort que l’autre.
Elle tritura le bout de sa tresse.
– Les hommes peuvent parfois concevoir deux enfants avec deux partenaires différents, mais c’est plutôt rare. Imagine un peu les scandales que ça provoque ! 
Elle haussa les épaules, le sourire aux lèvres et se remit en mouvement.
— Tu vois la brune au milieu des filles ? C’est une sorcière, en huitième année. Elsy Jaar. Elle vient d’une riche famille. C’est la première de sa promotion, la plus puissante de son âge. Sa famille ne fait pas partie du conseil, mais elle espère pouvoir obtenir un titre d’élève du conseil par le mérite, comme Calliope. C'est terrible ce qui lui arrive d’ailleurs. C'est une sorcière super joyeuse d’habitude…
– Qu’est-ce qui lui arrive ? la coupa-elle, curieuse.
Carla s’arrêta à nouveau en pleine marche et lui jeta un regard ahuri. 
– Sa sœur de Coven, sa meilleure amie, Lydia. Elles étaient inséparables. Lydia est plus âgée, elle a quitté l’école il y a deux ans. Elle était en étude de préservation culturelle, avec ta mère. Elle était avec elle le jour où on a retrouvé son corps… mais Lydia avait disparu. On ne sait pas si elle s’est enfuie ou… pire. Certains pensent que c'est l’Hécatombe qui est de retour, mais le conseil ne confirme pas.
Mayri resta figée un moment. Non seulement sa mère avait été assassinée, mais en plus de cela, une jeune femme avait été enlevée… Une nausée lui brûla la gorge. Pourquoi son oncle ne lui en avait-il par parlé ? Et ce lien avec l’Hécatombe ? Qu’est-ce que cela signifiait ? Mayri n’en avait jamais entendu parler. Sa mère n’avait jamais évoqué un tel nom.
Carla observa autour d’elle un moment, par peur d’être épiée, avant de reprendre son air joviale et de clore le sujet. 
– Oh ! Et la blonde à côté…
Seul le petit déjeuner la fit taire.
Mayri ne parla pas beaucoup, se contentant d’observer Carla et Adam parler. Il était à peine huit heure du matin, et sa tête était déjà en feu à cause de tous ces penseurs. Elle chercha d’ailleurs Aramis du coin de l’œil, mais le ne trouva pas.
Elle croisa cependant le regarde de Néra, mais cette dernière restait plus que cordiale avec elle. Le demi sourire qui se forma sur ses lèvres charnue lui donna presque froid dans le dos. Cette louve était vraiment magnifique, comme si elle avait été sculptée à même le marbre par un artiste fou d’amour.
Mayri se demanda soudain si elle et Aramis sortaient ensemble. En tout cas, ils avaient l’air proche. Sa magie se tendit dans ses veines à cette idée et elle fronça les sourcils. D’abord, elle connaissait Aramis depuis à peine une journée, ensuite, elle n’était pas du genre à être jalouse. Elle avait toujours été très claire à ce sujet avec ses partenaires : elle ne leur appartenait pas et inversement, alors chacun pouvait faire ce que bon leur semblait avec qui ils voulaient – dans le respect évidement–
Et pourtant, imaginer les lèvres de Néra se poser sur celle d’Aramis lui donnait envie de tordre la fourchette qu’elle tenait dans la main.
– Mademoiselle Clyme ?
Mayri sursauta et se tourna vers le sorcier de l’accueil qui se tenait debout à sa droite.
– Votre oncle vous demande dans son bureau. Si vous voulez bien me suivre.
Elle fronça les sourcils en se levant et le suivit à travers le jardin et les couloirs de l’école. Il la laissa devant le bureau d’Azriel et disparut dans un brouillard violet alors que la porte s’ouvrait d’elle-même. Mayri se préparait à entrer mais l’appréhension la figea sur la pas de la porte.
– Entre Mayri, tu ne crains rien, nous ne voulons que parler.
Azriel était assis à son bureau. Debout, à côté de lui, se tenait l’homme qui avait prêché à l’enterrement de sa mère. Son regard sombre semblait sonder jusqu’aux tréfonds de son esprit. Sa mâchoire anguleuse lui donnait un air dur, et la barbe rase qui la recouvrait ne faisait qu’accentuer cette impression.
Il était si rigide, si droit et si froid qu’il semblait n’avoir jamais connu ni le rire ni la joie. En réalité, il semblait surtout interdire tout rire et toute joie d’interférer avec son existence entière. Il n’était pas dépourvu d’émotion, son regard noir était même très expressif, mais il était dans un tel contrôle de lui-même qu’il en semblait terrifiant.
– Bonjour Mayri.
Sa voix était parfaite et cinglante.
– Je suis Aricrius Hayes, le père d’Aramis, professeur d’histoire, grand-prêtre, et conseiller liturgique de l’Honorifique.
– L’Honorifique ? demanda-t-elle lentement, comme si ce mot était un piège qu’on lui tendait.
Aricrius fronça les sourcils en tournant sa tête vers le directeur.
– Elle ne sait rien ?
Azriel secoua la tête en croisant ses mains au-dessus de son bureau.
– Absolument rien. 
– Je ne comprendrai jamais la décision d’Arianne.
Il lança au penseur un regard accusateur.
– Là n’est pas le sujet de notre réunion, répondit-il. Mayri, vient t'asseoir.
Elle se glissa sur le fauteuil en face du bureau.
– Le conseil de l’Honorifique est le plus haut conseil de la Tryade. Il va de pair avec celui de l’Hémicycle, qui tombe juste après dans la hiérarchie. Tes deux parents étaient des conseillers de la chambre Honorifique.
Elle déglutit. Mayri savait que ses parents avaient été des conseillers, mais de là à ce qu’ils soient aussi importants…
– Les sièges y sont héréditaires et tu en possèdes deux, dans la mesure où ton père est toujours porté disparu.
Devant l’absurdité de ces propos, elle se mordit la lèvre jusqu’à en avoir mal.
– Je ne veux pas de ces sièges. Je ne veux pas faire partie de ce gouvernement.
– Tu n’as pourtant pas le choix, répliqua Aricrius.
Elle croisa les bras sur sa poitrine en lui lançant un regard amer.
– Sinon quoi ? Je serai traînée dans un camp de travail avec tous ceux que j’aime avant d’être éliminée en cachette ?
Azriel se pinça les lèvres en la fixant. Son visage était sans appel. Son souffle se bloqua dans sa poitrine.
– Vous n’êtes pas sérieux ?
– Tu as des responsabilités ici. Tu portes le nom des Clyme, et tu représentes la lignée de ta mère, les Artène. Tu ne peux pas échapper à ta position. Tu es une apprentie du conseil maintenant.
– Je suis pas sûre de tout saisir là, siffla-t-elle en serrant les dents. Vous êtes en train de me dire qu’en plus de devoir rester dans cette école après avoir grandi chez les humains, je fais partie des plus hautes instances gouvernementales de cette nation alors que je n’y connais rien et que je suis obligée d’assumer ce poste sous peine de mort ?
Ce fut le silence qui lui répondit. Cette situation totalement absurde lui laissait un goût amer sur la langue.
– Passons. De quoi vouliez-vous me parler au départ ?
Azriel s’enfonça dans son fauteuil.
– Deux choses. Premièrement, Aramis te donnera des cours pour t’aider à rattraper ton retard. Il ne sait encore rien de ton enfance chez les humains. J’ai cru comprendre que tu n’avais encore rien révélé. La Tryade sait que cela finira par s’ébruiter, alors tu es libre de choisir comment tu comptes t’y prendre.
Il fit une pause pour lui laisser le temps d’intégrer, puis reprit :
– Secondement, la Tryade veut organiser un lever de drapeau en l’honneur de ta mère, demain. L’école sera ouverte aux Tryadiens vivants aux alentours et le lever de drapeau retransmis en direct à la télévision. Le peuple a besoin de se sentir uni.
– À cause de l’Hécatombe ? demanda-t-elle innocemment.
Si elle pouvait avoir des réponses sur la situation, elle n’allait pas hésiter.
Le fauteuil de son oncle grinça lorsqu’il tressauta. Elle ne savait toujours pas de quoi il s’agissait, mais cela n’augurait rien de bon.
– L’Hécatombe a été démantelée il y a longtemps. Tu ne dois pas en parler, déclara Aricrius avec le plus grand sérieux.
– Et pourquoi ?
– Parce que tu es une apprentie conseillère. À présent, tous les pas que tu fais sont ceux de la Tryade. Tous les mots que tu prononces sont ceux de la Tryade. Tu ne peux rien dire, ni rien faire, qui aille contre sa volonté.
– Et ma volonté à moi ?
– Oublie là. Si tu veux survivre dans ce monde, le prix à payer sera ton libre arbitre.
Elle déglutit, les tempes en feu. Tout son corps était sous pression. Elle pouvait à peine bouger ses doigts tellement ils étaient engourdis. Elle avait l’impression d’être sur un bateau en pleine tempête.
– Mayri ? s’inquiéta Azriel.
– Je ne peux pas.
– Tu ne peux pas quoi ?
– Rester ici. Être une apprentie conseillère et la fermer pour le reste de mes jours. Je ne le veux pas, je ne l’ai jamais voulu. Je ne savais même pas en quoi consistait la position de mes parents avant aujourd’hui !
Elle se leva. Le fauteuil grinça contre le parquet.
– Mayri !
– Non ! s’emporta-t-elle. Tout ça n’a aucun sens !
Elle ne leur laissa pas le temps de répondre et sortit du bureau en claquant la porte. Elle fonça à travers les couloirs en essayant de reprendre ses esprits. Ces gens, ce gouvernement, la menaçait et voulait lui prendre sa liberté. La seule chose qu’elle n’ait jamais eu. La seule chose qui lui avait offert sa mère en la bannissant chez les humains. Elle avait passé son enfance enfermée dans un chalet, seule. Elle n’était pas prête à être une prisonnière à nouveau. Elle ne pouvait pas l’accepter.
Un corps la percuta soudainement. Elle ferma les yeux. Son cœur bondit de peur. Ses doigts s’enfoncèrent dans sa poitrine pour calmer la douleur alors qu’elle perdait l’équilibre. Elle fut retenue in extremis par un bras puissant. Une sensation de brûlure traversa tout son sang jusqu’à sa main. Mais cette chaleur disparue aussitôt lorsque la personne qui venait de la bousculer et de la rattraper posa sa main sur la sienne, au-dessus de son cœur. Elle eut la sensation étrange que sa magie appelait la sienne pour la calmer.
Tout ceci ne dura qu’une fraction de seconde, et quand elle rouvrit les yeux, elle se trouvait face à ceux d’Aramis. Elle resta perdue dans son noir, paralysée dans ses bras par une force qui la dépassait.
Mais il retira sa main, et la tension qui retenait son corps s’estompa. Elle déglutit avant d’envoyer son poing dans la poitrine du penseur sans vraiment savoir pourquoi.
– Tu peux pas faire attention ! s’écria-t-elle en s’écartant le plus vite possible pour reprendre son chemin.
Elle crut l’entendre rire dans son dos.
– Bonjour à toi aussi, jolie fée !
Mais elle était déjà de l’autre côté du couloir.

Le Temple de la Tryade - Tome 1 - L'HécatombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant