Chapitre 16 - Mayri

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La forêt était dense, mais Aramis s’y déplaçait avec une aisance remarquable. Aucun de ses pas n’étaient maladroits et il n’hésitait jamais sur la direction à prendre. Le vent ne soufflait plus, la température était clémente et le soleil projetait sa chaleur à travers les arbres.
La magie de la forêt rayonnait dans chaque grain de poussière. Elle était comme chargée en paillette et en lumière. Mayri s’arrêta quelques seconde pour profiter du soleil et de la brise sur son visage.
– Tu te sens mieux ? demanda Aramis en passant au-dessus d’une grosse branche qui entravait le chemin.
Elle était tombée à cause du vent de la veille. Mayri enjamba à son tour l’obstacle.
– Oui. Je sais pas vraiment comment c'est arrivé, je…
– Je te l’ai dit, la coupa-t-il. Tu n’es plus habituée à autant de magie. Ton corps à besoin de s’adapter.
Elle pouffa, et il s’arrêta en plein milieu du chemin pour se retourner.
– Pourquoi ris-tu ?
Elle croisa les bras sur sa poitrine et prit appui sur sa jambe gauche.
– Parce que j’essaie de déterminer si tu me fais du mansplaining, ou si tu es simplement arrogant.
Il se pinça les lèvres, amusé.
– Moi qui pensait être sympa… ronchonna-t-il faussement vexé.
– Je vois
– Quoi ?
– Les deux. Tu es définitivement macho et arrogant.
Aramis secoua la tête, le sourire aux lèvres, avant de reprendre son chemin. Deux feuilles étaient tombées dans ses cheveux. Au bout de quelques mètres, il s’écarta du sentier pour s’enfoncer dans les bois. Il souleva une branche basse pour la laisser passer. Durant quelques minutes, Mayri dû tenir son sac contre sa poitrine pour faciliter son passage dans les bois. Puis, presque comme par magie, une arche de branche se dessina sous Ses yeux. Elle donnait sur une grande percée dans la forêt. La clairière, encerclée d'arbres, était baignée de soleil.  
Là, au milieu des bois, des buissons et des herbes hautes, trônaient les ruines d’un kiosque de bois et de pierres. Sa toiture était complètement effondrée et seul en subsistait la structure : de magnifiques poutres de chêne foncé, sculptées par endroit. De petites incrustations vertes brillaient dans la roche de ses fondations. Le soleil s’y reflétait et faisait danser des rayons verts dans toute la clairière. Les poutres et les rambardes étaient striées et incisées de motifs géométriques et de runes. Par endroit, elle apercevait même des ajouts en ronde bosse de forme florale.
– C’est une ruine très ancienne. Le lieu lui-même est un cercle de magie utilisé par nos plus vieux ancêtres, le kiosque ne servait qu’à canaliser son pouvoir, expliqua Aramis.
Mais la jeune fée l’entendait à peine, subjuguée par la beauté brute de cet endroit. Elle s’avança et passa ses doigts entre les feuilles d’un buisson. Le vent souffla. Il était doux et tiède grâce au soleil. Un papillon sortit du buisson et se posa sur son index. Elle leva la main vers le ciel pour l’aider à s’envoler. Ses ailes tachetées s’ouvrirent et il profita d’une petite brise pour disparaître dans la forêt.
Mayri sourit, heureuse, et s’accroupit pour poser sa main à plat sur le sol. Les battements de la terre étaient d’une force qu’elle n’avait jamais vu auparavant. La magie y était tellement concentrée qu’elle en émanait. Les vibrations des racines étaient sereines, puissantes et pleines de vie. Elles passaient à travers elle dans des flots euphoriques. Elle posa l’autre main à plat, pour laisser l’énergie repartir dans la terre et suivre son cycle éternel.
Lorsqu’elle se redressa, Aramis la fixait, les yeux brillants et perdu dans le vague.
– Quoi ?
Il secoua la tête de droite à gauche, comme éveillé par sa voix.
– Rien… Tu… C'est juste que je…
Il prit une inspiration pour se calmer. Il était adorable, loin du jeune penseur arrogant qu’elle avait rencontré. Mayri ne réussit pas à retenir ses lèvres de sourire. Aramis déglutit. Serait-il intimidé ? Par elle ?
– Tu…
Il leva maladroitement sa main au-dessus de sa tête en mimant une arche.
– Ta magie était très… lumineuse.
Elle glissa à nouveau ses doigts dans le buisson.
– Tu peux voir ma magie ?
– Oui. C'est comme, une sorte d’aura, qui se mélange aux fibres de l’univers. Les sorcières aussi peuvent la percevoir dans une moindre mesure.
Elle baissa la tête vers le buisson. Entre les petites branches, caché dans la fraîcheur des feuilles, un petit follet qui l’observait, curieux.
– Et c'est une mauvaise chose ?
– De… De quoi ?
– Que ma magie soit lumineuse.
– Non ! s’écria Aramis.
Le follet sursauta et s’engouffra dans le buisson. Mayri regarda le penseur. Ses yeux ne l’avaient pas quittée.
– C'est le signe d’une grande puissance.
Mayri souffla du nez, se pinça les lèvres, retira sa main du buisson et se retourna vers le kiosque brusquement.
– Tu viens souvent ici ? demanda-t-elle en s'avançant.
Les pas d’Aramis se rapprochèrent derrière elle.
– Oui, j’adore me balader en forêt.
Elle lui lança un regard malicieux.
– Un rat de bibliothèque aventurier, hein ? 
Elle l’observa un moment. Il n’avait rien d’un aventurier. En dehors de ses yeux noirs, tout en lui avait des allures d’intellectuel. Ses boucles brunes qu’il envoyait en arrière, sa mâchoire fine, ses pommettes douces… 
Elle remarqua les deux feuilles toujours coincées dans ses cheveux et leva le bras pour les enlever. Il s’immobilisa, la respiration courte.
– Désolée, je ne voulais pas te faire peur, dit-elle en laissant tomber les feuilles sur le sol.
– Tu ne m’as pas fait peur, tu m’as… surpris. Tu n’arrêtes pas de le faire.
Face au frisson qui parcourut sa colonne, elle préféra s’éloigner et monta les marches du kiosque avant de s’installer sur son plancher encore intact.
– Puis-je te demander pourquoi tu as grandi chez les humains ?
Elle détourna le regard. Les follets étaient sortis. Des nuages traversaient le ciel. Les oiseaux chantaient. La lumière venait d’en haut, mais la magie du sol l’absorbait et donnait l’impression qu’elle en sortait, prête à se fissurer et à libérer toute sa puissance.
– C'était la décision de ma mère, éluda-t-elle.
– Et ton père ?
Elle pouffa.
– Je n’ai pas passé assez de temps avec ma mère pour me souvenir de ce qu’elle m’en a dit.
– Tu ne sais vraiment rien de lui ?
– A part ce que vous en m’avait dit. Est-ce que c’est vraiment important ?
Aramis éclata de rire. Elle écarquilla les yeux face à sa réaction. Il se calma et prit un ton beaucoup plus sérieux.
– Tes deux parents viennent de vieilles familles fortunées, toutes deux siégeant à l’Honorifique depuis ses origines. Ton père était le grand prêtre de notre région. Le poste que mon père occupe aujourd’hui. Il était le penseur le plus puissant et le plus apprécié de cette nation. Ta mère était responsable des biens et des reliques tryadiennes. En se mariant, ils t’ont laissé une fortune colossale. Plus grande que la mienne ou celle de Néra. Tu as deux sièges qui t’attendent et dont tu as le contrôle. Nous pensions que ta mère te formait dans le privé pour te protéger. Mais maintenant tu es là, plus puissante que jamais et tu as grandi chez les humains !
Elle resta silencieuse. Fortune, grand prêtre, responsabilités… Tout cela lui donnait la nausée. Surtout maintenant qu’elle connaissait le vrai visage de la Tryade : celui de tous les innocents qu’elle avait égorgés.  Aramis remarqua son silence et décida de couper court à cette discussion.
– Je dois rejoindre mon père dans deux heures, alors aujourd’hui, je vais simplement te donner les bases de l’histoire sans forcément aller dans les détails politiques.
Il lui parla alors des origines de la magie et des espèces. Des dynamiques religieuses, des premiers croisements qui donnèrent naissance aux sorciers et aux fées. Il ne s’arrêtait pas, ne bégayait pas et n’hésitait jamais. Il maitrisait à la perfection ces connaissances antiques, comme si elles faisaient partie de lui.
Un follet grimpa sur la barrière face à eux. Il brillait et laissait des empreintes de pas semblables à des diamants sur son passage. Il s’avança, l’air curieux, et finit par atteindre les jambes d’Aramis, qu’il entreprit de gravir comme s’il s’agissait d’une montagne.
– Certaines légendes disent que les follets sont la réincarnation des âmes des défunts, dit-il en lui tendant la main.
Les yeux du petit être s’agrandirent d’émerveillement face aux doigts du jeune penseur et se mit à jouer avec.
– Mais pour les Tributs amérindiens, reprit-il, ce sont des témoins. La magie elle-même les aurait envoyés sur Terre avec pour mission de veiller et d’attendre le retour du Val’liya.
– Les tribus amérindiennes ?
– C'est un peuple isolé. Leur magie est légèrement différente de la nôtre. Ils forment une sorte d’espèce à part entière capable d’interagir avec la magie primaire. Il y a eu des tensions lors des grandes colonisations. Les Tryadiens se sont divisés à cette époque. Certains étaient pour qu’on les laisse en paix et d’autres redoutaient leur existence. Depuis, ils vivent en autarcie. C'est un peuple guerrier que tu n’as pas envie de croiser, crois-moi.
Elle remonta les jambes contre sa poitrine.
– Tu as parlé de magie primaire. Qu’est-ce que ça veut dire ?
Il se pinça les lèvres.
– La magie est une entité consciente. C'est elle qui régit le monde, l’équilibre… Tu le sais ?
– Oui.
Ses connaissances en magie étaient ridicules, mais elle se souvenait de quelques détails. La magie était la puissance même qui leur donnait la vie, qui s’incarnait en chaque grain de poussière, pétale ou racines. C’était elle qu’ils vénéraient.
– La magie nous donne nos pouvoirs en se déclinant et nous incarnant, de notre naissance, à notre mort. Mais en dehors de nous, elle est brute, sous forme d’essence, sa forme primaire.
– Et les peuples dont tu viens de parler sont capable de la manipuler sans qu’elle ne perde sa forme primaire ?
– Oui. Mais ne t’embête pas avec ça pour l’instant. Tu as plein d’autre chose plus importantes à apprendre.
– Comme l’entièreté du fonctionnement de ce gouvernement ? souffla-t-elle avec ironie.
Aramis lui offrit un sourire encourageant.
– On va y aller par étape, et tu seras bientôt la conseillère la plus puissante que la Tryade n’ai jamais connue !
Il était si fier de le lui annoncer, de la former, alors qu’elle n’avait aucune envie de devenir conseillère. Elle était là contre son gré, à cause du sang qui coulait dans ses veines, de la perle qui pendait à son cou et du nom qu’elle portait. Il y avait encore quelques jours, elle n’était personne, elle avait accepté de vivre sans magie, et aujourd’hui, elle était une future dirigeante qui n’avait pas le droit d’avoir le choix.
Mayri lui rendit son sourire par politesse, mais au fond d’elle, elle pleurait toute sa rage.

Le Temple de la Tryade - Tome 1 - L'HécatombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant