Chapitre 25 - Mayri

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« Il est urgent de se consacrer aux conditions de vie des Tryadiens. Instaurer des politiques de protections sociales et économiques pour leur accorder des droits fondamentaux. Loups, pensez aux vêtements que vous portez ensorcelés dans des usines pour s’adapter à votre transformation. Vampires, d’où provient le sang qui vous nourris ? Tout ça, toute notre vie, notre consommation, tue notre propre nation de l’intérieur. »
Aleksander Clyme, Les droits fondamentaux de l’existence magique.
Azriel ne parla pas beaucoup pendant le reste du séjour. Il s’excusa encore auprès de sa nièce et cette dernière fit l’effort de ne pas le provoquer. C’est en silence qu’ils rentrèrent à l’Académie, le lundi suivant.
Il était tôt et la plupart des élèves étaient en train de déjeuner quand Mayri ressentit le besoin de prendre l’air, de s’éloigner du poids des regards des autres. Elle suivit le sentier jusqu’au Temple et y entra. Le cristal de roche brillait dans la lumière matinale qui filtrait à travers les vitraux. Ici, seule, dans un endroit protégé par la magie, elle se sentie mieux.
Elle s’approcha au plus près de la roche. Elle pouvait presque l’entendre vibrer de puissance. Sa lumière dégageait quelque chose de chaud et de rassurant qui lui donna envie de s’avancer encore. Elle leva la main et posa délicatement ses doigts sur la parois lisse. Une onde de magie pulsa dans son sang, et les vibrations de la pierre se changèrent en murmures.
Les voix, plus forte que jamais, chuchotaient et sifflaient dans ses oreilles une langue lointaine et inconnue. Elle se tourna, sans détacher la main de la pierre, mais elle était bien seule. Elle avait pourtant l’impression que des milliers d’êtres lui tournaient autour, lui criaient quelque chose qu’elle ne pouvait pas comprendre, et chantaient en l’honneur d’une chose qu’elle ne connaissait pas. Lorsqu’elle regarda de nouveau la roche, une forme floue et sombre semblait s’y former.
Mais les voix se turent, la lumière vacilla et une onde magique plus puissante la força à reculer.
– Elle est déchargée.
Mayri sursauta et se tourna vers Aramis qui se tenait dans la nef, à quelques mètres d’elle. Il observait la pierre en faisant la moue, ce qui lui donna l’impression qu’il ne l’avait pas vu la toucher, ni entendue les voix invisibles.
– C'est étrange, elle devait encore durer quelques semaines. Il haussa les épaules. Ce n’est pas grave, on fera la cérémonie plus tôt.
Il la regarda enfin et sourit.
– C'est bien le dernier endroit où je pensais te trouver, jolie fée.
Elle s’avança. Ses boucles étaient emmêlées et le col de sa chemise n’était pas boutonné. 
– Tu es venue prier ? demanda-t-il en passant sa main dans ses cheveux.
– Non. C'est ce que tu comptais faire ?
– Pas vraiment non, lâcha-t-il en la fixant.
Elle se mordit l’intérieure de la joue.
– Alors qu’est-ce que tu fais là ?
– Je me sens bien ici, grâce au sortilège de réfraction qui protège le Temple. Mais j’imagine que le destin a décidé de me faire croiser ton chemin encore une fois.
Ses yeux étincelèrent de malice alors que le coin de ses lèvres se levait avec insolence. Pourquoi se trouvait-il toujours sur son chemin ? Mayri avait l’étrange certitude qu’ils ne cesseraient jamais de se croiser et de se recroiser. Où qu’elle aille, où qu’elle soit, où qu’elle fuie, il serait là. Elle ressentit le besoin urgent de s’approcher de lui mais à la place, elle croisa les bras, et imita l’insolence de son sourire.
– Je ne pense pas que le destin joue un quelconque rôle dans ta présence ici.
– Ah oui ?
– Hum. A mon avis, tu fais exprès de me suivre pour pouvoir me faire peur, monsieur le débauché.
Il secoua la tête et s’approcha un peu plus. Sa magie s’éveilla et s’agita contre sa peau.
– Tu adores ça, avoue-le.
Elle haussa un sourcil, amusée.
– De t’avoir toujours dans les pattes ? Tu prends tes rêves pour une réalité.
L’éclat dans son regard étincela d’avantage et transperça sa cage thoracique jusqu’à son cœur.
– De savoir que je suis toujours quelque part près de toi.  
Un frisson traversa sa colonne vertébrale comme une flèche électrique qu’elle se serait elle-même tirée. Elle se rappelait encore sa main dans son dos lorsqu’il l’avait aidé à affronter les journalistes ; la force de son bras lorsqu’il l’avait tenue quand elle avait arrêté le temps ; son air inquiet lorsqu’elle s’était assommée la première fois qu’ils s’étaient vus.
– Tu ne dis plus rien ?
Mayri n’arrivait plus à parler. Elle pouvait tout juste soutenir son regard. La magie l’attirait de nouveau vers lui, comme deux aimants. Oui, il était toujours là. Elle n’avait pas lutté. Elle l’avait accepté, elle qui ne s’attachait jamais. Elle préférait les relations simples, sans engagements. Des relations où elle ne dépendait de personne. Mais voilà qu’elle avait fait entrer Aramis dans sa vie, qu’elle l’avait laissé s’y installer. Elle se complaisait dans leurs petites rencontres dérobées depuis des jours.
– J’ai visé juste apparemment, souffla-t-il.
Elle croisa les bras.
– On ne devrait pas continuer à flirter comme ça. J’ai cru comprendre que les conseillers ne devaient pas vraiment sortir ensemble.
Il tressauta, regarda un instant le néant, puis sourit en penchant la tête sur le côté.
– Tu cherches des excuses.
– Je ne…
– Ne mens pas, je le vois dans tes filaments.
Elle se mordit l’intérieur de la joue.  
– A quoi ils ressemblent ?
– Ils sont jaunes, recroquevillés et agités.
Aramis sourit de nouveau et s’approcha. Ils n’étaient plus qu’à quelques millimètres l’un de l’autre. Il respirait à peine, et elle ne décrochait pas ses yeux des siens de peur que la tension entre eux ne disparaisse.
– Si la magie a choisi, les mœurs du conseil ne pourront rien y faire.
– Qu’est-ce que la magie a choisi ?
Il leva la main et l’approcha de sa poitrine avec lenteur, pour lui demander silencieusement son accord. Elle le laissa poser sa paume sur son cœur, juste au-dessus de ses seins.
– Tu ne sens pas ?
Leurs peaux brûlaient l’une contre l’autre. Sa magie s’agitait contre la sienne et s’y accrochait avec une force indestructible. Mayri entrouvrit les lèvres pour parler, mais elle avait oublié ce qu’elle voulait dire. Aramis ne souriait plus. Il l’observait avec tellement d’intensité que sa mâchoire tremblait.
– Dis-moi que tu le sens. Je t’en supplie.
Elle le sentait. Elle ne savait pas ce qu’elle sentait, mais elle le sentait. La force qui les liait, la magie qui les tenait, les émotions qui les emprisonnaient. Elle avait si chaud qu’elle aurait pu fondre sur place, et sa main sur sa peau n’arrangeait rien. Elle avait l’impression que la seule façon d’arrêter cette chaleur était de s’approcher encore de lui, mais l’espace entre eux était toujours trop grand.
Mayri approcha ses lèvres des siennes dans un geste désespéré. Elle agrippa son poignet, hésita. Le feu la consumait. Il allait l’anéantir si elle n’embrassait pas Aramis immédiatement. Elle n’était plus qu’à quelques millimètres de la délivrance quand la porte du de l’église claqua.
– Par la grâce de la magie, c'est un Temple sacré ! s’écria le grand-prêtre.
Elle s’éloignai brusquement. Son entrée semblait avoir soufflé sur elle un vent froid. Il les fixait, son fils et elle, d’un air désapprobateur derrière lequel se cachait une pointe d’amusement.
– Aller. Dehors. Vous allez être en retard à mon cours mademoiselle Clyme.
Mayri jeta un coup d’œil à Aramis avant de déguerpir.
– Quant à toi, mon fils…
Mais la porte s’était déjà refermée dans son dos.

Le Temple de la Tryade - Tome 1 - L'HécatombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant