Chapitre 20 - Mayri

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Mayri sortit de la voiture d’Azriel, son sac sur l’épaule, et se retrouva face à un manoir gothique qui n’avait rien à envier au château de l’académie. Trois tours s’élevaient asymétriquement. L’une d’elle était ronde et basse, l’autre très fine et haute. La troisième, rectangulaire, pointait vers le ciel une flèche ornementée qui la faisait paraître le double de sa hauteur. Les toits s’étiraient, excentriques, vers les nuages, et d’épaisses moulures de pierre décoraient les murs. Sans parler des deux statues, pleurant des larmes rouges de part et d’autre de l’entrée, dans des ronces.
– Bienvenue au manoir des Clyme, de son vrai nom, manoir des larmes sanglantes, clama Azriel dans le dos de sa nièce. Tu comprends pourquoi personne ne l’appelle comme ça.
L’intérieur n’avait rien à voir avec l’extérieur. Les Clyme n’avaient gardé que quelques meubles gothiques, qu’ils avaient accordés avec un style neutre et moderne. Azriel la guida à travers un premier salon. Elle posa son sac sur un fauteuil beige et tourna sur elle-même pour observer la pièce.
Deux bibliothèques massives enluminées et remplies de vieux livres de cuir s’étendaient à droite et à gauche. Une grande fenêtre en encorbellement donnait sur la cour arrière. Un banc fait sur mesure permettait de s'asseoir contre la fenêtre et admirer le paysage. Le canapé était accordé aux fauteuils beiges alors que la table basse, elle, était faite du même bois que les bibliothèques.
Mayri s’approcha du mur encore libre où étaient accrochés de nombreux cadres. Des photos de famille. Sur certaines, Azriel et Aleksander jouaient dans le jardin du manoir, sur d'autres, ils posaient avec leur parents. Sur l’une d’elle, les deux frères souriaient devant l’académie pour fêter leur premier jour de cours. Elle déglutit. Les cheveux de son père étaient roux et fougueux. Là où son frère semblait calme, lui se déchaînait, courrait, utilisait sa magie, faisait le pitre… Des photos de familles normales, pour des souvenirs heureux, loin du conseil, loin des camps de concentration et des exécutions.
Sur l’une des photographies, ses parents discutaient dans le jardin. Ils semblaient proches, heureux ensemble. Mayri serra les poings. Elle entendit Azriel revenir dans le salon, et s’approcher d’elle, mais elle garda les yeux rivés sur ses parents, sur cette enfance dont elle avait été privée. 
– Il a disparu, comme ça ? Il s’est volatilisé ? demanda-t-elle, les dents serrées.
Azriel se plaça à sa droite, en inspectant les cadres au mur.
– Oui.
– Et personne ne sait où il est ?
– Non.
– Même pas toi ?
– Même pas moi.
Mayri le regarda, pour inspecter les traits de son visage, alors que son regard restait rivé sur le mur.
– Pourrait-il avoir été enfermé dans un camp de travail ?
Sa mâchoire se contracta.
– Impossible.
Son ton était sec, sans appel. Elle se mordit l’intérieur de la joue, perplexe.
– Donc, il a disparu, même toi, son frère, ne sais pas où il est, mais tu es certain qu’il n’a pas été enfermé. Ce qui veut dire que tu sais que son départ était volontaire.
Il resta impassible, mais n’osa toujours pas la regarder. Son silence était pour elle la meilleure des réponses.
– Aleksander aurait préféré que tout soit différent, mais il n’a jamais su faire les choses simplement.
Il frôla un cadre d’eux adolescents du bout des doigts.
– Il a toujours été provocateur, antisocial. Notre père en devenait chèvre. Il n’avait aucune limite, et un jour, il a franchi celle de trop.
– Qu’est-ce qu’il a fait ?
Azriel regarda enfin sa nièce, les yeux brillant de nostalgie.
– Tu lui ressembles beaucoup.
Elle secoua la tête comme si cela pouvait changer son visage. 
– Ne change pas de sujet.
Il se pinça les lèvres avant de marcher d’un pas lent vers la fenêtre.
– Il y a des choses dont je ne peux pas te parler. Des secrets qu’il ne m’appartient pas de te révéler.
Sur un guéridon dont les pieds étaient sculptés en forme de corbeau, reposait un cadre avec une autre photo de son père et lui. Il la prit et la fixa un instant. Elle s’approcha, piquée par la curiosité.
– Les penseurs sont puissants, et on ne peut presque rien leur cacher, mais on peut tromper leur sens quand ce qui est caché est là où il devrait être.
Il tourna le cadre, retira son socle cartonné et en sortit une photo, plus petite, cachée derrière leur portrait. Il lui tendit.
Aleksander y tenait un nourrisson dans ses bras. A sa gauche, une jeune femme blonde souriait. Elle était grande, mais fine, émaciée. Ses joues étirées dans son grand sourire étaient creuses. Des cernes assombrissaient son regard heureux. Ses doigts presque squelettiques s’agrippaient au penseur comme à une bouée.
– Qui est-ce ?
– Chloé-Louisa Vermont, une amie de ton père. Il a pris cette photo quelques jours avant sa mort. Elle était gravement malade. Son enfant vit avec de la famille éloignée je crois.
Mayri passa les doigts sur la jeune femme.
– Pourquoi caches-tu cette photo ?
– Car Chloé était humaine et que ton père gardait cette amitié secrète.
Elle hocha la tête, peu convaincue, et lui rendit la photo.
– Il n’y a personne d’autre ici ? demanda-t-elle alors qu’il refermait le cadre.
– Seulement quelques domestiques. Presque plus personne ne vient aujourd’hui.
Il jeta un regard nostalgique dehors. 
– Avant, c'était une maison pleine de vie.
Il resta silencieux quelques secondes, les yeux perdu dans le vide, à contempler ses souvenirs, puis il secoua la tête.
– Je vais faire servir le déjeuner. Tu devrais profiter du jardin tant qu’il fait beau. Il y a un petit ruisseau au fond du domaine.
Il se dirigea vers la porte.
– Fais attention en te baladant dans la maison. Elle est truffée d’artefacts magiques qui pourraient t’exploser au visage ou absorber toute ton énergie vitale. Évite surtout la petite boîte noire dans la bibliothèque, elle donne la peste des sorcières. Une vraie horreur.
Il sortit sans rien ajouter et elle lâcha un rire nerveux face à son ton décontracté.

Le Temple de la Tryade - Tome 1 - L'HécatombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant