Prologue

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Les voix dans sa tête se battaient. Elle ne les contrôlait pas. Elle essayait même de les ignorer. Mais l'une d'elle hurlait son nom.


- Une flamme ! Une simple flamme Mayri !


La jeune fille se mordit la joue et regarda sa mère, Arianne. Ses cheveux épais entouraient son visage de porcelaine. Ils étaient aussi sombres que le bois du plancher, avec les mêmes reflets or. Les cheveux de Mayri n'avaient rien à voir : blonds, fins et ondulés.


Elle chassa les voix - essaya - et regarda à nouveau la paume de sa main, puis se concentra, aussi fort qu'elle put. Mais sa magie restait bloquée dans sa poitrine, comme un poids sur son cœur. Elle inspira, retint sa respiration et tenta de la libérer pour faire apparaître une flamme entre ses doigts.


A la place, un bruit sourd fit trembler les murs du chalet.


Sa mère soupira et ferma les yeux en se pinçant les lèvres.


- C'est la troisième vitre que tu casses cette semaine, et nous sommes jeudi ! Bon sans Mayri tu as neuf ans ! Tu devrais être capable de faire quelque chose d'aussi simple depuis que tu en as six ! gronda-t-elle.


Les orteils de la jeune fée se crispèrent sur le plancher. Les voix bourdonnèrent à nouveau dans sa tête. "Taisez-vous !" leur hurla-t-elle silencieusement. Comme un essaim de mouches effrayées, elles s'éloignèrent quelques instants avant de recommencer à lui tourner autour. Mayri ne comprenait même pas ce qu'elles disaient.


Elle baissa la main et croisa les bras dans son dos en baissant les yeux. Si seulement ces voix pouvaient se taire, peut-être arriverait-elle à faire apparaître cette maudite flamme ?


Arianne soupira à nouveau puis se redressa.


- Par la grâce de la magie, qu'ai-je fait pour mériter ça ? souffla-t-elle. Si seulement son père était là...


Elle traversa le salon pour reprendre ses travaux. Mayri observa sa mère s'installer à la grande table de la salle à manger baignée de lumière, ouvrir son carnet, saisir son crayon et prendre des notes sur le vase immense qui trônait devant elle.


Elle n'aimait pas ce vase. Il vibrait bizarrement. En réalité, Mayri n'aimait aucun des artefacts que sa mère étudiait. Il y avait souvent bien trop de magie en eux. Elle avait parfois l'impression d'étouffer quand elle les regardait.


La demeure des Clyme resta plongée dans un lourd silence. La fille attendait la mère. La mère ignorait la fille.


- Oncle Azriel a dit que je rentrerais bientôt à l'école, avec les autres, souffla finalement cette dernière.


Elle détestait ce chalet. Il n'y avait jamais rien à faire, à part attendre que le temps passe. Elle n'avait personne, en dehors de sa nourrice et de sa mère - quand elle était là - à qui parler, avec qui s'occuper. Mayri comptait les jours qui la séparaient de sa rentrée dans la grande école. Elle en avait tant entendu parler. Elle avait si hâte ! Enfin d'autres gens, des amis...


Arianna se tendit sur sa chaise, les doigts crispés autour de son crayon. Elle s'enfonça dans son siège et saisit la flûte de sang qu'elle s'était versée juste avant de commencer à étudier son vase. Elle but une gorgée, puis une autre, savourant la sensation de vie et de magie couler le long de sa trachée. Elle ferma les yeux un long moment, la tête penchée en arrière.


Plusieurs minutes plus tard, elle déposa son verre sur la table et jeta un coup d'œil à sa montre.


- Je vais être en retard au conseil.


Mayri n'avait toujours pas bougé. Sa mère se leva, ouvrit la porte de sa chambre et s'y engouffra. La jeune fée se balança d'avant en arrière. Elle fuyait le vase du regard et chantait une ancienne chanson pour faire taire les voix. Cela lui donnait la migraine. Elle n'était pas aussi douloureuse que celle qui découlait de son don de réfraction, mais quand même assez désagréable pour lui faire froncer les sourcils.


Elle se mordit la joue en se rappelant qu'en allant à l'école de son oncle, il y aurait d'autres gens et donc d'autres penseurs qui tenteraient de lire en elle, ce qui entraînerait inévitablement des heures et des heures de migraines. La réfraction protégeait son esprit de toute intrusion, mais pas sans conséquence.


Arianne prit moins d'une minute à se préparer. Lorsqu'elle sortit de sa chambre, ses cheveux étaient relevés en un magnifique chignon. Elle portait un tailleur et des escarpins noirs qui la faisaient paraître plus grande qu'elle ne l'était déjà. Mayri avait souvent rêvé d'être une vampire, comme sa mère, et non un mélange du sang entre elle et son père, un penseur. Cela lui aurait épargné toutes ses heures veines pour apprendre à maîtriser ses pouvoirs. A la place, elle aurait été forte, rapide et invincible, comme sa mère.


A son cou pendait sa perle écarlate au centre d'un sautoir en diamant. Celle de Mayri était blanche, la couleur des fées. Elle trouvait sa teinte trop fade, trop triste, mais elle n'avait pas le droit de la changer ni même de la retirer. "C'est la loi" lui avait simplement dit Arianne.


Le chauffeur s'arrêta devant la porte d'entrée. La vampire s'y dirigea. Mayri bougea enfin, se précipitant vers elle pour ne pas la voir partir à nouveau. Arianne se figea sur le pas de la porte puis se tourna lentement vers sa fille.


- Tu n'iras pas à l'école de la Tryade, Mayri.


Le corps de la jeune fée fut parcouru d'un spams brûlant.


- Quoi ? Mais Azriel a dit que j'irai !


- Il a changé d'avis.


- Pourquoi ?


Arianne l'observa, déglutit et envoya les épaules en arrière. Mayri n'aimait pas ça. Elle n'aimait pas quand le visage de sa mère changeait comme ça. Il devenait noir, impassible, dépourvu de toute émotion.


- Parce que tu es trop faible.


Les voix dans sa tête hurlèrent comme une rafale.


Son cœur se comprima dans sa poitrine. Ses poumons se vidèrent.


Faible.


Des larmes se formèrent au coin de ses yeux. Le regard de sa mère se fit plus noir.


- Ne pleure pas, gronda-t-elle.


Mayri ravala ses larmes à grand effort. Ses sanglots se perdaient dans sa gorge, l'empêchant même de respirer.


- Tu iras dans une école humaine à partir de maintenant. Tu feras ta rentrée la semaine prochaine. Tu vivras là-bas.


Un tic nerveux traversa la joue de sa mère.


- Tu ne te servira plus de ta magie, Mayri. Tu m'as comprise ? Plus jamais. Tu la laisseras s'endormir.


La mâchoire de la jeune fée trembla et elle retint difficilement les larmes qui menaçaient de dévaler ses joues. Sa mère n'ajouta rien. Elle sortit du chalet et se dirigea vers la voiture sans accorder aucun regard à sa fille.


Mayri courut après la voiture sur une bonne dizaine de mètres, mais elle était trop lente. Elle tomba à genoux dans le jardin de sa propriété, les mains tendues vers sa mère qui disparaissait déjà au loin.


Elle hurla assez fort pour faire taire les voix


Entre ses mains ouvertes comme une offrande, une flamme jaillit.


Et ce fut enfin le silence dans son esprit.



Le Temple de la Tryade - Tome 1 - L'HécatombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant