Chapitre 3

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Je frotte mes yeux fatigués. Je n'ai pas beaucoup dormi. Le repas de madame Choi a été des plus agréables et son bulgogi est une pure tuerie. Mais en rentrant dans mon appartement froid et sombre, la joie de vivre de cette petite dame m'a quitté. C'était comme se prendre un seau d'eau gelée, une grande claque de la part de la réalité, qui te rappelle rapidement que ta vie est loin d'être rose. C'était si dommage de m'arracher de ce cocon. J'en ai fait la moue, torturé comme un enfant à qui on arrache sa peluche favorite.

Car dans la pénombre, je ne suis qu'un enfant, mis à nu, que personne ne peut voir et juger. Alors c'est parfait, je peux geindre comme je l'entends.

Je baille, m'étire majestueusement, puis resserre mon tablier qui se fait la malle. Il est à peine huit heure et demi du matin, il y a un peu de monde au bar.

« —J'en connais un qui n'a pas beaucoup dormi. Encore, » me sermonne gentiment Seokjin, essuyant un verre. « Que va dire ton hôte ce soir s'il voit ces cernes ! J'ai intérêt à bien les cacher.

—T'embêtes pas, Jin. Tu n'es pas un pro du maquillage non plus, » je le rassure. Je n'aime pas tant que ça le maquillage.

«—Je te demande pardon ? Je te rappelle qu'à ses débuts en underground, c'est moi qui maquillais Namjoon ! Maman m'a toujours dit que j'étais doué de mes dix doigts. » m'assène-t-il, l'air suffisant. « Ne me sous-estime pas, je pourrais te transformer en bomba latina !

—Essaye pour voir, et je te jure que tu n'auras plus qu'à chercher un nouvel employé, » je lui claque alors.

« —Non mon Yoonyoon ! Ne me quitte pas ! Pense à nos clients, que diront-ils de notre divorce ? » geint-il théâtralement avant de retourner dans la cuisine sous les rires de quelques habitués.

Je ricane en rangeant les verres sur les étagères. Même si je le voulais, je ne pourrais pas quitter mon poste, n'ayant nulle part où aller. Jin est le seul à m'avoir accepté à bras ouverts, et j'ai besoin de ce travail.

Le temps passe, les clients et les musiques se succèdent. Je jure intérieurement lorsque la mélodie de Give it to me passe en arrière plan. Je me souviens de ses paroles par cœur. Je veux me gifler devant tant de vanité. Quel malaise. La popularité m'était monté à la tête et ce monstre qu'est le succès me dévorait avidement l'âme. Je me laissais volontiers aller à l'ivresse de ces soirées endiablées à rapper sans respirer. Je ne rentrais plus dans mes baskets. Néanmoins, je tire une leçon de tout cela : ce n'est pas parce que notre popularité croît que nous sommes à l'abri. Au contraire: plus l'on vole haut, plus la chute est fracassante. Que dirait mon ancien moi s'il se voyait aujourd'hui? Que cracherait-il de sa langue de vipère en se voyant vendre des cheesecakes. Ce serait un sacré coup de massue. Bon sang. Moi qui ne me voyais nulle part ailleurs que derrière un micro dans un petit studio. À l'époque, ce morceau me procurait une profonde satisfaction. Maintenant, elle ne me procure plus que honte ; une honte qui entraîne la colère. Contre qui, contre quoi ? Contre moi, contre le monde. La chanson se termine, une autre commence, mais cette rage me colle à la peau. Je m'agite, elle grimpe doucement. Mes mains tremblent dans l'évier et je serre les mâchoires à m'en éclater les dents.

« —PUT... YOONGI, AU SECOURS ! » hurle Jin.

Je sursaute, fait tomber une tasse dans le bac, m'aspergeant au passage d'eau caféinée. Je me réveille aussitôt et me précipite dans la cuisine. Jin sort un plat vomissant de flammes du four. J'écarquille les yeux, paniqué et me saisit de mon torchon humide perché sur l'épaule. Je l'aide à éteindre le feu en frappant, toussant, pleurant, intoxiqué par la fumée âcre qui s'échappe de ce qu'il reste du gâteau carbonisé. Nous nous regardons, soufflons en cœur et nous posons sur le carrelage du sol.

Born Singer [YoonMin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant