Born Singer [YoonMin]

Chapitre 27

Je ne sais plus vraiment quand les premiers signes de ma crise de panique sont apparus.

Malgré toutes mes années d'expériences, je me fais toujours avoir. Celle que j'ai faite dans le cabinet du docteur Young a été particulièrement brutale. Je lui racontais la violence, je lui racontais les punitions, je lui racontais les insultes, les larmes, les rares bagarres et jalousies entre les résidents. Je racontais l'histoire de ce petit garçon que je berçais le soir avant de dormir et de tous les autres qui ont suivi. Je parlais, tremblant et sans entendre ma propre voix. Puis tout est devenu noir. Il faisait sombre, je ne sentais plus rien, je n'avais plus conscience de rien, rien à part peut être la terreur qui m'étranglait. J'ai suffoqué, je crois que je me suis effondré. Des sons et des images d'autrefois ont pris possession du présent, me coupant du monde et des appels du docteur qui tentait désespérément de me ramener à la raison. Je me souviens de cette scène qui se déroulait sous mon nez. Mais j'étais cette fois extérieur à mon propre corps. Je voyais ce maudit pion frapper, frapper et frapper encore mes mollets. J'avais fait une bêtise, je ne sais plus laquelle. Je pense que c'est le jour où il m'a coincé en train de cacher de la nourriture dans ma poche pour mon voisin de lit qui avait été interdit de dîner. Sa voix tonitruante m'accablait de mes fautes.  Un voleur, un vaut-rien , une erreur de la nature, un déchet de la société... "Un collabo' " aussi, et celui-là me fait rire. C'est vrai que voler de la nourriture à quinze ans pour offrir un semblant de repas à mon camarade, ça fait de moi un nazi.

Quel salaud.

Quand je me suis calmé, ce sont les larmes qui sont montées. De honte, de douleur, d'injustice. Ça fait mal de se souvenir. Je voulais oublier, je voulais effacer tous ces épisodes. Le docteur Young a fait le lien entre nos séances, et a posé son diagnostic.

Dépressif

C'est lourd comme mot, "dépressif". Derrière la myriade de blagues stupides que ce mot inspire, il y a une maladie chronique. Avec, madame Young explique mes premières déconnections avec la réalité. Tout a commencé le jour où la seule personne qui me protégeait a disparu. Puis tout est allé crescendo. Enfant, adolescent, jeune adulte ou vieillard, il n'y a pas d'âge pour souffrir. L'humain est condamné à sa propre fatalité; rien, même pas l'âge, ne peut le sauver de lui-même. Dépressif, anxieux, traumatisé et ex-suicidaire. Un diagnostic si lourd. Ai-je un avenir ? La question se pose. Je m'en suis allé, vide de vie et brisé en mille morceaux. À quoi m'attendais-je exactement? Je savais déjà qu'il y avait un problème chez moi. Je m'en suis allé, perdu, mais avec une ordonnance entre mes mains et un agenda chargé de deux rendez-vous par semaine au lieu d'un seul.

Il va falloir que je m'achète un pilulier.

Je me suis rendu à la pharmacie sans trop faire attention à ce qui m'entourait. J'ai pris cinq minutes pour comprendre que c'était à mon tour de passer ma généreuse commande. Voyons voir quel festin m'attend : des stabilisateurs d'humeur ? Quelle est la différence avec les antidépresseurs? Je n'ai pas très bien compris son explication.

«—Votre épisode dépressif actuel est assez léger, ce médicament permettra avec le bon ajustement de gérer en parallèle les sautes d'humeur. Généralement il est utilisé pour les troubles bipolaires, mais il peut être pertinent pour votre cas.»

Dépression, bipolarité, anxiété... Je ne comprends plus, moi. Je regarde ma feuille de prescription : qu'ai-je d'autres ? Des somnifères pour un gros dodo de douze heures d'affilées ? Des médicaments contre l'anxiété ? Calmeront-ils le tremblement incessant de mes mains ? Des médicaments pour ouvrir l'appétit en cas de trouble du comportement alimentaire ?  Quelle merde, je vous jure. J'ai envie de tout jeter à la poubelle. Mais ces médicaments coûtent chers, certains ne sont pas remboursés. Je ne dois pas tenter le diable et prendre plutôt ma première dose de pilule.