★ Chapitre 3 ★

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Les arbres défilent autour de moi dans un camaïeu de vert. Je ne m'arrête de courir que lorsque mes poings de côté m'empêchent de respirer et d'avancer ne serait-ce que d'une foulée de plus, mais je continue en marchant malgré la douleur.

J'arrive enfin au bout d'Eikäno. N'est-il pas étrange de se dire que nous sommes plus puissants que les humains mais que, contrairement à eux qui vivent sur la Terre, nous, nous vivons dans un espace de la taille de la ville de Janina ? Rectification : nous vivons dans Janina mais dans une dimension superposée.
Nos deux mondes sont fantômes, ils sont là, au même endroit, au même moment, mais ils ne se mélangent pas exceptés à certains endroits à l'instar des Ruines.

J'émets un rire sans joie. Comme c'est pitoyable. Je me laisse reprendre mon souffle en observant la frontière – ou la Bordure comme nous l'appelons, un trait bleu luminescent infranchissable marquant la fin de l'Eikäno.

Au-delà, le monde est flou, constitué de tâches mouvantes et aucun bruit n'en filtre.
Je m'arrache à leur contemplation et retourne chez mon oncle.

Je me hisse grâce à une liane au nid central qui relie le mien et celui de mon oncle. Il est assis sur une natte en bambou. Je m'installe en face de lui sur ma natte et pioche un fruit rouge sur une feuille qui sert de plat. Je croque dans le fruit en fermant les yeux. Le goût sucré m'évoque les fraises des bois et la rosée du matin. J'essuye le jus qui coule sur mon menton avec le dos de la main. Mon oncle attend patiemment que j'ai fini pour commencer à parler.

– Où étais-tu passée ce matin ? murmure-t'il de sa voix chantante, conséquence de son affinité avec les oiseaux.
– On a fait une partie de cache-cache aux Ruines.
– Sois prudente Leïra.

Je hausse un sourcil interrogateur mais la discussion est close. Il est comme ça. Les oiseaux viennent le voir et lui gazouillent des informations et des messages.
Rien ne lui échappe, ou presque. S'il m'a dit ça, c'est qu'il a ses raisons. Saurait-il que je me suis rendue au monde des humains ? Normalement, il me laisse voir par moi-même, quitte à ce que je me trompe mais dans le cas du monde des humains, je ne sais pas. Lorsqu'il est évoqué, son attitude change du tout au tout. Son dos se voute, la tristesse et la peur émanent de lui par ondes violentes. Qu'est-ce qui a bien pu se passer ? Je poursuis mon repas en silence, mais l'appétit n'y est plus. Je le quitte et vais dans mon nid, énervée par son regard impassible. Je tourne et retourne ses paroles dans ma tête en boucle, comme une chanson, les propos de Tanaquill s'y mêlant tandis que je me démêle les cheveux et me change avant d'aller me coucher.

Ce monde est dangereux. Sois prudente. Ce monde est dangereux. On n'est plus des gosses. Ce monde est dangereux. C'était avant. Sois prudente. Ce monde est dangereux. Dangereux, dangereux, dangereux, dangereux, ...

Peace ★ 509 mots

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