★ Chapitre 5★

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La forêt s'interrompt brusquement pour céder place à un château de marbre et de cristal au centre d'une clairière. Les murs du palais royal se parent de reflets orangés sous la lumière du soleil levant. Je mets une main en visière pour me protéger de la lumière aveuglante.
Des tours s'élèvent vers le ciel et au sommet de la plus haute claque le drapeau d'Eikäno, une sphère qui flotte au-dessus de deux mains en coupe.
Je réprime un soupir d'admiration. Ce n'est pas la première fois que je viens ici mais je ne me lasse pas du spectacle. Mon oncle me tire la manche, m'arrachant à ce spectacle.

– Viens Leïra.

Je souffle bruyamment pour manifester mon mécontentement.

– On ne peut pas attendre encore un peu ?
– Non. (Il ajoute plus doucement.) La reine sait déjà que nous arrivons, ne la faisons pas attendre plus longtemps.

Nous quittons l'orée de la forêt et traversons la clairière. La route finit par nous amener devant une arche forgée dans un métal reflétant les couleurs de l'arc-en-ciel. Un elfe nous observé tandis que nous nous approchons.

– Messire Reihn ? interroge-t-il.
Mon oncle acquiesce et l'homme s'incline.
– Je suis Taïg, la reine vous attends. Si vous voulez bien me suivre...

Il nous guide à travers une allée soigneusement entretenue bordée par des lampadaires. De près, on peut voir le travail minutieux des artisans qui ont taillé le cristal de manière à ce qu'il réfracte la lumière dans des directions différentes et les saphirs incrustés dans le marbre blanc. Nous gravissons les marches du perron et notre guide nous laisse passer la porte suffisamment grande pour faire passer dix elfes côté à côte en même temps. J'en profite pour l'observer à la dérobée. Taïg est plutôt petit et sa peau, pâle comme la neige, tranche avec ses cheveux d'un bleu presque noir – son affinité doit être en rapport avec l'eau. Il surprend mon regard et me fait un clin d'œil.

Nous traversons une enfilade de pièces, toutes plus sublimes les une que les autres, remplies de tableau contant notre Histoire, avant d'arriver devant deux grandes portes closes de bois noir comme l'ébène.

– Mon chemin s'arrête ici, dit l'elfe en s'arrêtant.

Il s'incline et, avant de s'en aller, ouvre les portes, révélant la salle du trône.

De hautes fenêtres bordent les côtés est et ouest du salon de manière à illuminer la pièce le jour. Des lustres aux pampilles de verre pendent du plafond si la luminosité se révèle insuffisante ainsi que des appliques murales disposées entre les vitres.
Une estrade à l'opposé de la porte supporte un trône. Il est constitué de cristal et de marbre, à l'image du lieu qui l'abrite. Il ressemble à une fleur, coupée en deux de manière à révéler son profil.

Mon oncle et moi nous avançons sur le tapis de velours rouge. Je m'agenouille face au trône et à sa royale occupante.

– Bienvenue au palais de cristal et de lumière, dit-elle d'une voix chantante.

Je profite qu'on ne s'intéresse pas à moi pour l'observer. Ses cheveux sont blanc – la couleur des oracles, comme les novices, mais ses yeux gris pâles trahissent son grand âge.

– ... suppose qu'il s'agit de Leïra ?
– C'est exact, dit Reihn. C'est d'ailleurs pour elle que nous sommes ici...
– Tu veux dire que ce n'est pas pour me voir ? Je vais me vexer... dit-elle en lui adressant un clin d'œil.

C'est à ce moment-là que je me demande comment cela se fait qu'ils soient si proches. La reine saisit alors un plateau en argent sur lequel repose un récipient et se lève. Rilanèa saisit un pilon et broie des herbes qu'elles vient de jeter dans le bol. Elle murmure à toute vitesse des paroles que je ne comprends pas : marei balor xukhe kabdi osilla ed'fjiod jag dehsog osna breuck.
Une odeur nouvelle se met à embaumer la pièce, de plus en plus forte. Elle se place devant moi et me fait signe de me mettre debout, ce que je fais.

– Jolis meilankass, me murmure Ralenèa.

Elle plonge deux de ses doigts dans la coupe et trace avec le liquide huileux le symbole d'Eikäno tout en psalmodiant :

Eíre g'okti fėgã g'uhēk fey . Mel naêquo varesīæ nerœ.

J'ai l'impression que le liquide fusionne avec mes marques, s'infiltre dans ma peau et parcourt mon corps tout entier. Elle s'arrête et plonge son regard dans le mien.

– Bon Éveil.

Nous nous saisissons les mains pour la suite du rituel et je remarque sur mes poignées dénudées des tatouages nouveaux s'y sont formés, un peu comme des bracelets.
Les arabesques forment un triangle sur le dessus de mon bras en direction de mon coude.

Ralenèa toussote discrètement pour ramener mon attention dans la pièce. Je lui souris nerveusement et plonge mon regard dans le sien afin qu'elle puisse lire ma destinée. Sa voix chute de plusieurs octaves lorsqu'elle prononce les vers suivants :

Kémi lareîcha no
Pare sî no rè
Mare kalo'va
Meilérà qué no seïa
Leisci ùo balénirè
Qualemréich no *

Un lourd silence suit cette déclaration.

Mareī ba lok'sa, disons mon oncle et moi à l'unisson tout en posant notre poing droit sur le cœur, closant ainsi le rite.

Nous repartons lorsque la reine nous interpelle. Elle fait signe à Reihn de revenir et lui murmure à l'oreille, ce qui ne m'empêche pas de l'entendre.

– Les dons des elfes sont positifs. Mais son don... (Elle frissonne.) Le sait-elle qu'elle est à moitié humaine ?

Je n'attends pas la réponse de mon oncle et m'enfuis.

Peace ★ 933 mots

* Les deux mondes se mélangeront
Lorsque la vérité surgira.
Douleur et trahison ne feront plus qu'un
Quand viendront doute et chagrin.
Le sang s'accumulera
Et les remords trop tard arriveront.

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