A la sortie du Boosty Bellows, j'étais rentrée à pieds. J'avais besoin de réfléchir et d'évacuer toute la tension que j'avais ressenti face à cette rencontre totalement impromptue. En une fragment de seconde, ce parfait inconnu avait réussi à me déstabiliser entièrement. Qu'est-ce qui ne tourner pas rond chez moi ? J'avais sûrement trop bu comme toujours, c'est certain. Mais même lorsque c'était le cas, j'essayais de garder un semblant de contrôle. C'était comme si mon esprit était en roue libre et que mon corps ne répondait plus de rien. J'espérais de tout coeur que Zita n'avait pas aperçu cette petite scène car cela pouvait me porter préjudice pour la suite. Le doute m'avait envahi rapidement. Et si Jimmy avait raison ? Si je n'étais pas assez stable émotionnellement et psychologiquement pour honorer ce contrat ? Si ce n'était pas le cas, que se passerait-il ? Ma carrière était en France et non aux Etats-Unis. J'avais un éditeur qui me soutenait dans mes projets et surtout, je possédais ce talent qui ne s'éteindrait pas d'aussitôt. J'avais ça dans le sang, depuis toujours.
Dans cet immense lit, des bribes de cette soirée me revenaient à l'esprit. Je repensais à son regard dévorant progressivement chaque parcelle de ma peau jusqu'à me consumer entièrement. Une douce chaleur envahit le bas de mon ventre qui se faisait de plus en plus insistante. Je résistais à l'envie irrépressible de me soulager en pensant à lui. Je m'endormis au petit jour m'étant déjà faite à l'idée de ne plus jamais le revoir.
Le soleil californien me réveilla d'une nuit sans sommeil, peuplée d'angoisses et de doutes. Je m'installais sur l'immense terrasse de l'appartement afin de boire mon première café de la journée tout en admirant le spectaculaire panorama qui s'offrait à moi. Je ne m'habituais toujours pas à cette nouvelle situation et j'étais dans l'attente de pouvoir enfin commencer à travailler. Après tout, c'était la raison pour laquelle j'étais ici et que je pouvais profiter de tous ces traitements de faveur. En milieu de matinée, je décidais de sortir explorer les environs de la ville et pourquoi pas déjeuner dans un petit spot tranquille. Je m'orientais vers le quartier de Venice Beach où je trouvais un dinner de quartier qui me convenait très bien. Vivant à fond l'expérience américaine, je commandais une énorme tasse de café brûlante accompagnée de sa traditionnelle assiette de pancakes moelleux. Je sortis mon ordinateur portable de mon sac et consultais mes e-mails entre deux gorgées. Quelques demandes d'interviews, des propositions de collaboration et de projets, un e-mail de Jimmy qui s'inquiétait de ne pas avoir de mes nouvelles et le plus récent provenait de Zita.
« Bonjour Madeleine,
Comme convenu, après avoir vérifié sur l'agenda commun, ton premier entretien ou rendez-vous de travail (appelles cela comme tu le souhaites) se déroulera jeudi à 9H00 au sein de nos locaux dont tu trouveras l'adresse ci-jointe.
Si tu as le moindre problème, n'hésites pas à me joindre sur mon numéro de portable. Je suis disponible jour et nuit.
Bien à toi,
Zita.»
Je fermais la page de l'e-mail, soulagée que Zita n'ait fait aucune allusion à la soirée d'hier. Je supposais que dans ce genre de situation, elle devait rester un minimum professionnel. J'allais enfin pouvoir faire ce que je faisais le mieux dans ma vie : écrire. Et c'est ce que je fis presque instantanément. J'avais toujours quelques projets ou manuscrits en attente dans un coin de mon précieux ordinateur. Je prenais un réel plaisir à créer et étoffer. Et la douce ambiance californienne me mettait en appétit. Mon casque vissé sur la tête, je tapais frénétiquement les touches du clavier.
Cela faisait déjà une bonne heure que je laissais mon inspiration me guider et mon esprit divaguer en observant les personnes de passage venues chercher leur dose de caféine quotidienne. Mon regard s'arrêta sur un détail qui me glaça le sang : ces tatouages. Je les avais déjà vu quelque part et, pour être exact, pas plus tard que cette nuit. Ce que je redoutais dans mes pires angoisses se produisit. Le type d'hier ! Qu'est-ce qu'il faisait là, bordel de merde ? Parmi tous les cafés de cette maudite ville, qui faisait tout de même douze fois la taille de Paris, il fallait qu'il choisisse celui-ci. J'étais sidérée devant cette coïncidence plus que douteuse. Affublé d'une casquette et de grosses lunettes de soleil, qui lui cachaient la moitié du visage, il était méconnaissable. Je ne l'aurais sûrement pas reconnu si je ne possédais pas la fâcheuse tendance à scruter les petits détails insignifiants.
Automatiquement, je détournais la tête vers la baie vitrée, m'enfonçant un peu plus dans la banquette rouge jusqu'à m'y fondre complètement. Du coin de l'oeil, je le regardais et constatais qu'il était accompagné de deux autres personnes. Une jolie et grande blonde type mannequin qui tenait tendrement la main d'un autre homme. J'étais mal à l'aise et je n'avais qu'une seule envie : prendre mes jambes à mon cou. Dans mon for intérieur, je priais pour qu'il ne tourne pas la tête dans ma direction. Je faisais mine d'écrire sur mon clavier, feignant l'indifférence mais cela ne m'empêchait pas de jeter quelques coups d'oeil discrets au dessus de mon écran.
Lorsque j'eu le courage de relever discrètement la tête de mon ordinateur, je découvris, avec stupeur, que l'homme qui l'accompagnait me dévisageait avec ténacité. Pendant que les deux autres lisaient attentivement le menu, son regard ne se détournait pas du mien. Je détaillais l'homme qui me faisait face. Ce dernier ressemblait, étrangement, à celui de la veille à quelques détails près. C'était un brun ténébreux à la carrure musclée. Ses longs cheveux bruns étaient attachés en un chignon qui lui tombait lâchement sur les épaules. Il était littéralement à couper le souffle, avec des pommettes saillantes et une barbe bien fournie. Il était doté d'un charisme exacerbé et d'une prestance sans égal. Je ressentis exactement la même vague de chaleur qui m'avait envahi le creux de l'estomac hier soir. Encore ? Non. Ressaisis toi Madeleine, m'ordonna ma conscience.
- Tu as choisi, Tom ? , demanda la femme qui l'accompagnait.
- Oui. Juste un americano pour moi., répondit-il avec un léger accent.
- Tu es sûr, chéri ?
Il hocha la tête en lui souriant et cela mit fin à notre échange visuel. Alors que la jeune femme récupérait leur commande au comptoir, les deux hommes se dirigèrent vers la sortie. Le blond sortit de la poche arrière de son pantalon, un paquet de cigarettes blanc. Il en porta une à ses lèvres et l'alluma avec un zippo argenté. Le brun lui murmura discrètement quelque chose à l'oreille qui lui fit lever les sourcils d'étonnement. L'angoisse m'envahit progressivement, j'avais un très mauvais pressentiment mais rien ne se passa. La jeune femme les rejoignit et il montèrent tous trois dans une énorme Cadillac noire garée un peu haut. Le rouge aux joues et le coeur palpitant, je pouvais, enfin, reprendre mon souffle.
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Equilatéral
FanficMadeleine Evans, jeune auteur a succès, a subi une terrible perte qui l'entraine, un peu plus chaque jour, dans une spirale auto-destructrice. Afin de la sortir de cet engrenage chaotique, son manager lui fait signer, malgré elle, un contrat en coll...