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J'allais le découvrir: je n'aimais pas les souterrains secrets. Le tunnel était à peine éclairé par des ampoules fixées à plusieurs mètres de distance, dont deux seules fonctionnaient. La principale source de lumière venait de la lampe du téléphone portable de Jeremiah, qui se reflétait sur le sol en bois. Je m'accrochai fermement à sa chemise pour ne pas déraper sur les planches pourries et glissants.

La proximité de l'océan recouvrait le tout d'une couche humide. Je n'osais pas toucher les murs luisants. S'il faisait plus chaud en bas qu'en haut, j'avais hâte de quitter cette obscurité moite, presque écœurante. J'eus l'impression que le trajet n'en finissait pas et que les parois se resserraient au fur et à mesure de notre progression. J'étais sur le point de pousser Jeremiah et de m'enfui à toutes jambes quand soudain nous stoppâmes devant une trappe. Mon patron tourna un anneau métallique, mais le battant ne bougea pas. Il dut s'y reprendre à deux fois pour que le panneau se soulève dans un bruit de bois qui se fendait. La pièce dans laquelle nous entrâmes n'était pas plus lumineuse que le tunnel, mais elle représenta tout de même un soulagement bienvenu.

- Grimpez, m'ordonna Jeremiah.

Je remarquai alors une échelle en fer fixée au mur. Les barreaux glacés me mordirent la peau tandis que j'escaladai rapidement. A la surface, il faisait moins froid et moins humide. La porte fut ouverte brutalement, et en un instant, je reconnus l'arrière-cuisine et ses étagères garnies de conserves. Aveuglée par la clarté soudaine, je poussai un cri de surprise et levai les mains en signe de reddition: les canons de trois armes étaient pointés vers moi.

- Repos! lança Jeremiah dans mon dos.

Après une courte hésitation, les pistolets s'abaissèrent; je m'assis au bord du trou, les pieds ballants. Les gardes reculèrent quand leur patron apparut. Je m'écartai pour le laisser passer, mais sans oser me relever tant la frayeur m'avait coupé les jambes. Sans efforts, Jeremiah me souleva et m'escorta hors du réduit.

La cuisine et le salon étaient remplis de gens, surtout d'hommes armés; Lucas s'y trouvait aussi, flanqué de deux gardes. Il me jeta un regard inquisiteur. Je perçus un bref soulagement sur son visage avant que son habituel masque ironique retombe. Jeremiah le foudroya du regard. Il s'approcha de lui à grands pas.

- Tu as intérêt à me dire...

- L'Archange, le coupa Lucas.

Jeremiah s'arrêta net.

- Qu'est-ce que c'est? demanda-t-il.

- Ce n'est pas une chose, c'est quelqu'un, répondit son aîné mal à l'aise, l'air soudain renfrogné. Pourrait-on ouvrir ces menottes? ajouta-t-il en montrant ses poignets enchaînés. Mes pauvres épaules n'en peuvent plus de...

- Qui est l'Archange? gronda son frère sans tenir compte de sa demande.

- Un tueur. Très doué. Et cher. Et contrairement à ce que tu pourrais penser, ce n'est pas moi qui l'ai engagé. J'ai même essayé de te prévenir dès que j'ai été au courant du contrat.

- Quand ça?

- Le soir du gala de charité, à Paris. J'ai tenté de t'appeler sur ton portable, mais tu n'as pas décroché.

Lucas me glissa discrètement un regard plein de regrets.

- J'aurais dû laisser un message, poursuivit-il. Je voulais te rencontrer. Mais quand je suis arrivé à ta chambre, il était déjà trop tard.

- C'était un numéro masqué, dit Jeremiah, soupçonneux.

- Une obligation, dans ma profession.

Le sourire que fit Lucas ne gagna pas ses yeux. J'eus le sentiment que ces amabilités étaient une sorte de réflexe, de dissimulation, résultant d'un véritable entraînement. Une drôle de lueur dans son regard, bientôt effacée par un rictus, me le confirma.

tout CE QU'IL VOUDRA        l'intégraleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant