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Quand, en classe de sixième, je décrochai mon premier - et dernier - rôle important dans la pièce de théâtre de fin d'année, j'appris mes répliques, chez moi et avec mes camarades, jusqu'à ce que je les sache par cœur, à l'endroit comme à l'envers. Même les répétitions en costume, dans la grande salle de gym, se passèrent sans incident, car il n'y avait pas encore de public. J'étais fière de participer, de tenir ce rôle petit mais crucial. Tout se gâta le soir de la première. Tétanisée par l'assistance composée d'anonymes, j'oubliai mon texte et me révélai incapable de bouger, submergée par ce qui m'apparut comme un raz-de-marée dévastateur.

Soudain seule dans ce hall d'exposition, dans un pays étranger où je ne connaissais personne, je sentis qu'une même terreur me pétrifiait.

Maintenant que j'étais laissée à moi-même, la salle magnifiquement décorée, avec ses invités élégants et son ambiance luxueuse, sembla virer à une farce sinistre. Le programme froissé entre les doigts, j'observai autour de moi en me demandant où aller. Rester plantée comme un piquet, ainsi que me l'avait ordonné Jeremiah, était exclu. Il fallait que je m'arrache de cette cohue, comme j'avais été obligé de quitter la scène, des années auparavant.

- Lucy Delacourt?

Mon nom me fit sursauter et m'arracha à mes pensées moroses. En me retournant, je vis une femme brune en longue robe jaune qui s'approchait de moi. Son visage m'était familier, et un sourire apparut sur mes lèvres quand je la reconnus.

- Cherise?

- Oh là là! C'est bien toi! s'exclama-t-elle en frappant dans ses mains tellement elle était heureuse. Il me semblait bien t'avoir aperçue à ton arrivée, mais je n'en étais pas sûre.

Stupéfaite de rencontrer une personne familière, j'oubliai les convenances et serrai la jeune femme dans mes bras. Cherise avait vécu dans le même foyer d'étudiants que moi pendant nos deux premières années à Cornell. Bien que nous ne nous soyons pas fréquentées pendant les cours - elle faisait médecine et moi droit -, nous traînions ensemble les weekends avec une bande d'amis. Je ne m'interrogeai pas sur le hasard qui nous remettait en présence et me contentai de remercier ma bonne étoile.

- Que fabriques-tu ici? demandai-je.

- J'accompagne David, expliqua-t-elle avec un grand sourire plein de fierté. Nous gérons un dispensaire à Bornéo, et il est venu ici pour essayer de trouver des fonds.

- Vous vous êtes enfin mariés?

Elle acquiesça. J'étais heureuse pour eux. Cherise et David sortaient ensemble depuis le lycée quand j'avais fait leur connaissance à l'université. Tous deux nourrissaient des rêves humanitaires. Apparemment, ils étaient en train de les mettre en pratique.

- Ainsi, vous êtes médecins tous les deux, maintenant?

- Non. Je me suis orientée vers la gestion lorsque David a entamé son deuxième cycle. Ça s'est révélé judicieux, car je m'occupe aujourd'hui de l'aspect concret de notre projet. En plus, il m'arrive de l'accompagner sur le terrain, alors c'est tout bénéfice pour moi!

Cherise n'avait rien perdu de l'optimisme et de cette joie contagieuse dont ses amis avaient toujours profité. Son plaisir évident à me retrouver rendit mes pensées plus légères et m'aida à ma détendre. La jolie jeune femme me jeta un regard espiègle.

- A ton tour, raconte! Est-ce vraiment Jeremiah Hamilton que j'ai vu à ton bras?

Je rougis avant de me sermonner: je n'avais aucune raison d'être mal à l'aise.

- C'est mon patron, répondis-je en haussant les épaules, l'air de rien.

- Vous deux êtes...?

tout CE QU'IL VOUDRA        l'intégraleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant