Chapitre 3 : Au centuple
Le quartier, comme l'avait indiqué Akutagawa, était silencieux. Il n'y avait pas un chat dans les rues. Les bâtiments, tout comme le ciel, la mer et le goudron sous leurs pieds, étaient gris. Toute sa vision était remplie de gris, pas une once de couleur ne le sauvait de cette triste apathie qui engourdissait son être. Les hommes de mains portaient du noir et leurs visages cachés derrière des lunettes de soleil fortement teintés : des visages facilement oubliables puisqu'ils se ressemblaient tous. Son mentoré portait également du noir et sa peau était pâle comme celle d'un mort, il ressemblait à un mort-vivant, ou un vampire dirait les plus cyniques. Hirotsu était aussi coincé dans cette vie mortelle et sombre, l'écharpe marron qu'il portait était terriblement terne. Même Dazai était paré de noir dans un costard trop grand pour lui et l'imperméable de Mori. Seul Chuuya, malgré ses vêtements aussi sombres que ses collègues et ses efforts, restait un phare lumineux : la chevelure enflammée et les iris saphir étaient impossibles à cacher. Il était le seul être humain qui était plus vivant que n'importe qui d'autre, il était donc évident qu'il devait ressortir du lot, aussi bien par ses caractéristiques physiques que par sa personnalité.
(Une nuit, alors qu'ils étaient allongés sur l'herbe d'un parc fermé au public à cette heure-là, en train d'observer les étoiles invisibles à cause de la pollution, buvant langoureusement des bières, Osamu s'était tourné vers Chuuya. Ils étaient tous les deux suffisamment conscient de leur environnement pour s'apprêter à s'enfuir si la police ou un gardien arrivait. Mais aussi assez ivre pour avoir une conversation honnête sous le ciel étoilé.
« Comment fais-tu pour être aussi vivant ? »
Osamu avait demandé en chuchotant, l'œil vitreux et sa main nue posée sur celle gantée de son partenaire. Les doigts recouverts de cuir s'entrelacèrent avec les siens, mais les iris bleu-gris restèrent fermement sur les étoiles inatteignables. Le brun garda la bouche fermée en attendant une réponse, mais, au fil des secondes, l'espoir d'avoir une réponse qui pouvait illuminer son âme diminuèrent. Lentement, pour ne pas gêner Chuuya, il se recroquevilla sur lui-même, déçu. Il détourna le regard et tourna son corps vers le ciel nocturne à nouveau. Il n'osa pas lâcher prise. Au bout de quelques minutes, le rouquin laissa échapper une longue expiration.
« Tu cherches une raison de vivre. Je ne sais pas pour les autres, mais, personnellement, je n'en ai pas. Je n'ai pas cette chose énorme que tu... idéalises. Dazai tourna sa tête vers le rouquin, attentif. Je vis parce que je ne veux pas mourir, je vis parce que j'ai des gens qui comptent sur moi. Il fit un vague geste de sa main libre vers le ciel. Je ne vis pas pour sauver le monde, ou laisser une trace. Je vis parce que je le dois : pour la mafia portuaire, pour Yokohama. Je vis parce qu'il y a des gens que j'apprécie et qui doivent être protégés. Il serra brièvement la main d'Osamu. Je vis parce que quelqu'un doit garder en mémoire les noms de ceux qui sont partis trop tôt. Chuuya tourna la tête et croisa l'œil rouge et la pupille soufflée du brun. Je vis parce que quelqu'un doit te botter le cul de temps en temps et te faire redescendre de tes grands chevaux. Je suis un combattant Osamu, je combats tout, tout le temps et la mort ne fait pas exception. »
Le souffle de Dazai se coupa. N'était-ce pas poétiquement tragique ? L'un combattait la mort que l'autre courtisait. Un cercle vicieux et incassable jusqu'à ce que l'un d'eux ait décidé d'abandonner et de laisser la victoire à l'autre. Mais, Double Noir, avant d'être deux êtres tellement opposés qu'ils étaient complémentaires, était composé de deux diamants. Et le diamant avait pour propriété d'être incassable, à part par un autre diamant. La corruption de l'un entrainerait irrémédiablement la déchéance de l'autre. L'histoire la plus émouvante et funeste qui puisse exister.)
VOUS LISEZ
Bréviaire d'un partenariat
Fiksi PenggemarPetit recueil de mes one-shots sur Double Noir, aka Soukoku, certains suivant une continuité entre les chapitres. Étant donné que l'inspiration est aussi rare qu'une licorne, les mises à jour seront lentes. Mais promis, c'est bien (/▽\). Contenu par...