CHAPITRE 1: Alena

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Je me suis souvent sentie de trop dans ma vie, un peu en décalage avec le monde

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Je me suis souvent sentie de trop dans ma vie, un peu en décalage avec le monde. Cependant, jamais à ce point. Mon ensemble de jogging, mes converses rose et mes deux valises font tache dans ce hall d'immeuble flambant neuf au beau milieu de New York. Le monde grouille autour de moi à un rythme fulgurant, quant à moi, mes talons sont cloués au sol et je suis incapable d'avancer. Reprenant mes esprits, je décide de faire demi-tour lorsqu'une voix inconnue m'interpelle.

« Alena ! Par ici. » Au loin, une femme me fait signe de venir vers elle. La fuite n'est donc plus une option. À reculons, j'avance vers ce qui me semble être l'accueil de ce hall où trône au-dessus de celui-ci le nom de l'entreprise familiale « Hilton Housing ». Lorsque j'avais 15 ans, mon grand-père paternel est décédé, ce qui a engendré le départ de mon père qui a hérité de l'entreprise de constructions immobilières phare de New York, laissant derrière lui sa femme et sa fille.

La distance qui me sépare de l'accueil me paraît interminable. Plus je me rapproche, plus je distingue le grand sourire de cette femme, elle est rayonnante. À première vue, je lui donnerais une trentaine d'années. Son strict look vestimentaire est en totale contradiction avec son air radieux et son chignon décoiffé.

« Enfin, vous voilà. Je croyais que le vol avait un problème, et le traqueur en ligne me disait que vous aviez déjà atterri. Je savais qu'on aurait dû vous envoyer un taxi. Comment se repérer dans une si grande ville toute seule pour la première fois ! » me dit-elle à une vitesse folle. Elle poursuit. « Je suis enchantée de vous rencontrer. Je m'appelle Grace, je suis l'assistante de votre père et il m'a beaucoup parlé de vous. » Intéressant, je me demande s'il a pu lui relater un événement de ma vie plus récent que mon entrée au lycée.

« C'est un plaisir de faire votre connaissance Grace, et j'ai pris le métro ne vous en faites pas tout s'est bien passé ! » Elle reprend à toute allure. « Le métro ? Ma pauvre, j'espère que vous n'êtes pas traumatisée ! Laissez-moi donc vos valises et prenez l'ascenseur pour le dernier étage. Votre père vous attend avec grande impatience. » Je la remercie chaleureusement et me dirige lentement vers l'ascenseur où je prends quelques secondes pour respirer. Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi ai-je répondu à son appel ? De toute façon, il est trop tard pour se poser ces questions après avoir quitté toute ma vie en France pour me jeter dans l'inconnu, c'est trop tard pour revenir en arrière.

« Généralement, c'est mieux d'appuyer sur le bouton pour qu'on puisse monter au septième ciel », une voix m'interrompt dans mes pensées. « Tiens, c'est vrai ? Je n'avais jamais fait le lien ! C'est donc à ça que servent tous ces petits numéros ? » rétorquais-je en levant la tête et découvrant un homme me surpassant d'au moins vingt centimètres, dans un costume bien plus élégant que mon jogging. Lui, je pense qu'il ne doit pas se sentir en décalage avec l'environnement, il se fond à merveille dans cet immeuble pompeux. Son rire envahit l'ascenseur et lorsqu'il se penche pour appuyer sur l'un des nombreux boutons, son sourire n'a toujours pas quitté ses lèvres.

« C'est la première fois que je vous vois ici. Votre accent me dit que vous n'êtes pas du coin », atteste-t-il. « Dis donc, c'est que vous êtes le professionnel des remarques évidentes, vous. » dis-je lorsque l'ascenseur démarre sa montée. « Allez, lâchez le morceau ! Je dirais un pays d'Europe, certainement pas l'Angleterre car vous n'avez pas un accent ridicule. Je mise sur la Belgique ou la France ! » Je m'apprête à lui répondre lorsque le « ding » de l'ascenseur nous indique que nous sommes arrivés.

Lorsque les portes s'ouvrent sur le dernier étage de l'immeuble, je suis aveuglée par toute cette luminosité. Malheureusement, une ombre bien connue vient gâcher mon observation de l'environnement. « Je vois que vous avez déjà fait connaissance, c'est parfait, on gagne du temps. Bonjour Alena, je suis heureux de te retrouver, tu m'as énormément manqué. » atteste mon cher père.

« On sait tous les deux que tu ne le penses pas », rétorquais-je, « si on allait droit au but sur la raison de ma présence. »
Un petit peu décontenancé par ma réponse, il déduit à juste titre que je ne suis pas là pour renouer nos liens familiaux, il me fait donc signe de le suivre. L'homme de l'ascenseur emboîte le pas également. Je lui lance un regard interrogateur et il se contente d'hausser les épaules, ayant toujours un rictus aux lèvres. Choisissant de l'ignorer pour le moment, je découvre l'immense espace constitué d'un nombre incalculable de bureaux vitrés. Le centre de l'étage est composé d'un open space où trône modestement un arbre au milieu de celui-ci, un arbre. Rien que ça. Tout le monde vaque à ses occupations dans une ambiance beaucoup plus calme que celle du hall d'entrée.

La brève visite se termine lorsque nous arrivons au bureau de mon père où est inscrit en lettres dorées « Richard Hilton » sur la porte. Brièvement, mon père informe l'homme de l'ascenseur qu'il l'appellera lorsque qu'il aura besoin de lui, avant de rentrer dans le bureau. J'échange un bref regard avec lui, son sourire grandissant s'accompagne d'un léger hochement de tête ressemblant à un encouragement. Complètement décontenancée, je rentre en trombe dans le bureau de mon père qui ferme derrière moi.

Une fois installés dans cet espace majestueux, un silence pesant s'empare de la pièce, aucun de nous deux n'ose commencer la discussion. Dans un élan de courage, je prends la parole.
« J'aimerais qu'on commence cet entretien pour le terminer rapidement car j'ai le check-in de l'hôtel dans... ». Mon père m'interrompt : « C'est un des nombreux sujets que nous devons aborder aujourd'hui. Tu n'as pas besoin d'aller à l'hôtel. Ton grand-père n'avait que moi comme fils et toi comme petite-fille, et j'ose espérer que tu te souviens à quel point tu comptais pour lui ». J'essaie de laisser de côté l'émotion qui m'envahit à la mention de mon grand-père ; c'était mon plus grand modèle.

« Il espérait que tu viennes à New York, où un appartement t'attend au coeur de l'Upper East Side, à une condition. » Sous le choc, je décide de me lever, incapable de rester en place. Quant à mon père, il reste stoïque. « Un appartement ? » répétais je bêtement. Je n'arrive pas à cacher mon incompréhension. Il reprend calmement : « Oui, Alena. Un appartement qui t'est destiné depuis une éternité, à une condition. Il souhaitait plus que tout au monde que tu suives ses pas et si je ne me trompe pas, c'est ce que tu as fait. » En effet, je n'ai jamais quitté mon objectif des yeux et j'ai terminé mes études d'architecture récemment, en l'honneur de mon grand-père qui m'a toujours inspiré. Malgré les larmes qui troublent ma vision, je demande à mon père de poursuivre.

« Il a formulé dans son testament que tu auras cet appartement à la seule et unique condition que tu travailles chez Hilton Housing. Il a toujours voulu que tu choisisses l'architecture, et ça tombe bien, j'ai un poste pour toi », conclut-il en me tendant un mouchoir.

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