ANGELICA
Avec ma cousine, on avait un jeu. Ce jeu n'avaitpas pour but de courir n'importe où, il n'offrait pas non plus le titre degagnant ou de perdant. Ce jeu nous offrait pendant quelques secondes la possibilité de nous imaginer une autre vie. C'était pour nous une excuse. Une simple et égoïste excuse. Mais une excuse qui nous permettait pendant un court instant de ne pas nous sentir égoïstes de rêver d'une autre vie alors que la nôtre était parfaite à bien des égards. Certes, il y avait des tâches noires sur le tableau blanc immaculé, mais n'y en a-t-il pas dans chaque vie ?
Le jeu consistait à nous poser une question, une seule question. À l'époque, nous nous voyions qu'une seule fois par mois lors du dîner de famille mensuelle. Alors, une fois par mois, nous avions droit à quelques minutes de réflexion, d'excuse. La question était simple, un enfant saurait y répondre, après tout, nous n'étions que des enfants lorsque la première question fût posée. Quant à la réponse, elle était complexe à sa manière.
Les questions reposaient dans un bocal que nous gardions caché dans le trou de l'arbre. Arbre qui était caché par des dizaines de fleurs exotiques, elles nous donnaient l'impression d'être comprises, comme si elles comprenaient que notre secret devait rester entre nous.
Les questions étaient simples. Elles commençaient toujours par « Et si... ». Ces deux mots sont pour moi les sources d'une succession de regrets. Ils nous permettent d'imaginer ce que l'on ne pourra jamais avoir, vivre. Beaucoup de mots suivaient ces deux premiers. Aucune question n'était liée. Une fois posée, on ne l'entendait plus, une fois la réponse donnée, elle est comme la clé que l'on jette dans le fleuve, oubliée.
J'en ai oublié beaucoup de clés. En fait, je les ai toutes oubliées, je les ai toutes jetées dans le fleuve, mais une, a réussi à rester à la surface.
« Et si nous pouvions nous réincarner en un animal, lequel choisirais-tu ? »
Un oiseau.
C'est l'animal que j'avais choisi. Ils ne sont pas très haut dans la chaîne alimentaire, mais cela n'avait pas d'importance. Ils m'émerveillaient. Je les jalousais. Ils possédaient la seule chose à laquelle je n'aurais jamais droit, la liberté.
Cette question m'obsédait jour et nuit, « Et si... ». Je déteste ces deux petits mots. Pendant quelques secondes, ils nous donnent un peu d'espoir, la seconde d'après, ils reviennent nous arracher ce semblant d'espoir. Ils sont aussi cruels que beaux.
Il ne nous a pas fallu longtemps avant de comprendre que ce petit jeu était du poison à la place du remède. Je me suis vite rendu compte que j'étais le drogué qui ressentait pendant quelques secondes cet instant d'euphorie avant de retomber d'un coup. Là encore, il y a un ennui, ce sentiment d'euphorie nous rend addictes. Le coup de poing que l'on se prend au réveil ne sera jamais aussi puissant que ce sentiment.
Les oiseaux n'ont aucun mur, ils n'ont aucun frein pour accéder à leur liberté, ils décident d'eux-mêmes où ils souhaitent aller, je n'ai jamais eu cette chance.
Lorsque je les regarde voler dans le jardin, il m'arrive de me dire qu'il me suffirait d'aller au-delà de cette baie vitrée pour toucher du bout du doigt cette liberté.
Encore une fois, cette baie vitrée n'est en faite qu'une simple excuse. Une excuse que je me raconte lorsque je sens que suis sur le point de l'oublier. La vérité, c'est que j'ai peur. J'ai l'impression que lorsque je baisserai la poignée de cette porte d'entrée, je tomberai dans le vide, que c'est à ça que ressemblera la liberté que j'ai tant souhaitée, un puits sans fond. J'ai peur qu'il n'y ait personne pour me guider dans cet endroit qui m'est encore inconnu alors je reste assise sur cette chaise, dans cette immense salle.
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POUR TOUJOURS ET À JAMAIS
Romance« Ils paieront tous. » Dans un monde sombre où règne la mafia dans l'ombre, où le sang coule avec abondance et où la paix n'est qu'un miroir prêt à être brisé, ils étaient là. Dans cet univers où les apparences ne sont que trompeuses, où la destinée...