CHAPITRE QUATORZE

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ANGELICA


J'ai lutté contre moi, j'ai crié, j'ai souffert, esseulé dans la nuit de mon âme blessée, et, ma vie en lambeaux je sors de mon enfer, car j'ai trouvé l'enfer au fond de ma pensée.

Albert Giraud


10 septembre 2012, Rio de Janeiro.


« - Si tu te blesses, guéris-toi. Si tu tombes, relève-toi. »

Le soleil.

Il m'était impossible de ne pas le sentir. Tout comme il m'était impossible de ne pas sentir les coquillages brisés égratigner mes genoux.

Cependant, malgré le soleil me brulant la peau, les coquillages me mordant les genoux, je ne pouvais penser qu'à une seule personne, à une seule chose ;

Je ne me suis pas relevée, je n'ai pas réussi.

J'ai échoué.

Alors que ces quelques mots tournent en boucle dans ma tête, qu'ils ne sont qu'une douleur supplémentaire à celle qui m'habite déjà,  je ne peux m'empêcher de le regarder à travers la flaque d'eau, héritage que la montée de la mer a laissé.

Il ne fait que grandir, son reflet.

Je n'ai pas compté... les secondes, je ne les ai pas comptées... On ne devrait pas le faire lorsque notre taille ne dépasse pas un manche à balai. Pourquoi devrions-nous penser au temps alors que la vie est devant nous, qu'il nous reste encore des centaines de millions de secondes...

La vérité, c'est qu'on ne devrait pas, on ne devrait se soucier que du fait que notre fusil à eau est assez rechargé, que le bocal à bonbons est toujours plein, qu'il reste assez de films Disney pour toute une vie...

Seulement, il arrive parfois que les monstres sous les lits deviennent réels, que les histoires que l'on raconte aux enfants pour les effrayer le deviennent aussi.

Le mien, mon monstre est devenu réel et je ne peux que rester là. Je ne dispose pas de couette pour m'emmitoufler dedans, seulement du sable et de mes pieds qui s'enfoncent dedans. Pour la première fois, il n'y a pas la porte au bout du couloir. Pour la première fois, je ne peux pas aller me cacher dans leurs bras pour me réconforter. Pour la première fois, ils ne sont pas là, mes héros, mes protecteurs, mes parents. Ils ne sont pas là.

Mais lui, il l'est toujours.

Je ne saurais dire pourquoi je n'ai toujours pas laissé échapper un cri, pourquoi les larmes n'ont toujours pas coulé. Peut-être est-ce parce que j'essaie de paraître courageuse pour elle. Au plus profond de moi, je sais que si je les laisse couler, que je laisse ma détresse prendre le dessus, elle n'aura plus aucun espoir.

Et du haut de ma petite taille, de ma médiocre expérience de la vie, je sais que c'est tout ce qu'il nous reste.

Je pense que c'est en sentant ses grandes mains froides m'empoigner le bras que le premier cri est sorti. Seulement, il n'y en a pas eu d'autres alors que je sentais le tissu rugueux blanc venir m'obstruer tout moyen de respiration.

Ses yeux, ses beaux yeux bleus.

Ils furent la dernière chose que je vis alors que je sentais cette fatigue écrasante peser sur mes paupières. Et ma dernière pensée fut celle-ci :

Je n'ai pas su me relever, je ne sais pas su me guérir...

10 septembre 2024, New York.

Je n'ai jamais réussi à me relever.

J'ai essayé, j'ai réellement essayé, mais c'était comme essayer de tenter de sortir la tête hors de l'eau alors que les vagues ne faisaient que nous enfoncer un peu plus dans les profondeurs. Je ne les ai jamais vaincues.

POUR TOUJOURS ET À JAMAISOù les histoires vivent. Découvrez maintenant