CHAPITRE DIX-SEPT

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CRISTIANO


« Les souvenirs refont surface lorsque le présent n'est pas à la hauteur du passé »

- Franck Nicolas


30 avril 2011, Italie.


La perte.

« Fait d'être privé de quelque chose qu'on possédait. »

C'est ainsi qu'il le définisse dans le dictionnaire. N'est-ce pas étrange de se dire que l'on peut résumer la pire des douleurs en ne serait-ce que quelques mots ?

La perte, ce n'est pas le fait d'être privé de quelque chose, ce n'est pas quelque chose que l'on possédait. La perte, la véritable perte, est celle qui nous détruit de l'intérieur. Celle pour qui chaque respiration n'est qu'une torture l'une après l'autre. Celle pour qui on préfère vivre dans le passé que dans le présent.

La perte, c'est accepter qu'on ne les reverra plus, les sourires, les baisers entre deux murmures, on ne sentira plus jamais la chaleur de leurs présences, de leurs étreintes.

La perte, c'est accepter que si on est là, ils ne le sont plus, qu'on ne les verra plus jamais passer la porte, il n'y aura plus jamais de baiser au réveil, seulement la froideur du passé et des souvenirs.

Cinq, il y a cinq phases dans la perte.

Le déni, c'est la première. On ne comprend pas ou plutôt, on ne veut pas comprendre. On tente de se convaincre que rien n'est vrai, qu'elle n'a pas perdu le procès, qu'au fond, la lettre n'a jamais existé, qu'elle n'a jamais atterri entre ses mains.

La seconde, c'est la compréhension. On finit par comprendre, on comprend que la dernière vision qu'on a à travers une vitre de voiture est au fond bien réelle, qu'elle n'était pas un simple tour de notre imagination. On comprend que la voiture qui s'éloigne est bien réelle et la distance qu'elle creuse entre elle et moi l'est aussi.

La troisième, c'est la colère. On refuse. On refuse d'accepter que c'était la dernière fois. On refuse d'admettre que ces mots étaient les derniers. Seulement, on finit par en vouloir à la terre entière, on préfère leurs rejeter la faute plutôt que d'admettre que l'on est aussi coupable qu'eux. J'aurais pu me battre, j'aurais pu résister, refuser de monter dans cette immense voiture. Tout est de ma faute. C'était mon idée, le voyage, mon idée, ma stupidité, ma faute. À cause de moi, elle m'a perdu et je l'ai perdue par la même occasion.

- C'était mon idée.

Je sentis son regard se poser sur moi. Il l'avait fait de nombreuses fois durant le voyage, poser son regard sur moi, vérifier que tout était réel, que ce n'était pas un rêve ou un cauchemar. Pour ma part, je n'avais pas osé. Je me refusais de détourner mon regard de la fenêtre, essayant de fuir la réalité.

- Le voyage, c'était mon idée. Malgré qu'elle soit russe et italienne, je savais que c'était l'Italie, sa maison, son chez-soi. Seulement, elle n'osait pas y retourner. Au début, je croyais que c'était à cause de vous. Mais au final, c'était à cause de moi ou plutôt de ce que je représentais.

« Elle ne voulait pas, mais je l'ai forcée. Alors que ce voyage était censé nous rapprocher, il nous a encore plus éloignés et...c'est de ma faute. »

- Ce...Ce n'est pas ta faute. Rien de tout cela n'est de ta faute. Seulement...la mienne. 

- Alors pourquoi est-ce que je me sens si mal ? Pourquoi suis-je autant en colère ?

Il ne répondit pas, cherchant ses mots.

- Cristiano...Cristiano, regarde-moi.

Il y avait un mélange de dureté et de douceur dans sa voix. Mes yeux plongèrent dans les siens. Ce jour-là, je ne pouvais pas les voir clairement, mais maintenant, alors que le soleil se reflétait sur eux, sur les ténèbres qu'ils renferment. Je comprends. Si je ne voulais pas l'accepter, je n'ai désormais plus le choix. Pendant des années, je me suis demandé d'où provenaient les ténèbres qui m'abritent. Maintenant, je sais. Maintenant, je le vois.

- Je ne peux pas te promettre que tu la reverras un jour, j'aimerais, mais je ne peux pas. Je ne suis pas quelqu'un de bien, je ne te mentirai pas en te disant que je n'ai jamais fait de mal à ta mère, mentalement. Cependant, malgré ce que je suis, ce que j'ai fait, tu es et resteras à jamais mon fils. Aussi longtemps que je vivrai, que je respirerai, je peux te promettre qu'il ne lui arrivera rien, jamais. Sur ma vie, sur mon honneur, je la protègerai. Tout comme je te protègerai toi. Mon sang coule dans tes veines, tu es un Castellano. Sei mio figlio et j'en suis fier.

Alors que je ne pouvais détacher mon regard de lui, de ses mots, mon regard se posa sur la vue en arrière-plan.

Je suis né dans l'un des quartiers les plus pauvres de New York. Je ne pouvais même pas me payer un café dans les beaux quartiers de l'Upper East Side, mais désormais, je me retrouve devant le plus grand et magnifique manoir qu'il m'a été donné de voir.

La vie n'est-elle pas étrange ?

- Ils ne te feront pas de cadeaux, ils ne t'accueilleront pas. Peut-être te détesteront-ils, peut-être t'aimeront-ils. Je ne peux rien te promettre. Seulement, avant que tu n'entres dans cette maison, dans ce monde. Rappelle-toi que tu portes le sang de la femme la plus incroyable et la plus forte que je connaisse, tu as été élevé par une battante, alors bats-toi et tu survivras.

Dans la perte, il y a cinq phases. Cependant, je suis resté à jamais dans la troisième et...je ne l'ai jamais quitté.

Ils veulent se battre ? Bien, qu'il en soit ainsi.

Je me battrai...

Quelques années plus tard, à New York.

Peut-être que si je n'étais pas monté dans cette immense voiture, elle serait toujours là. Peut-être que si j'avais continué de me battre, que j'avais refusé d'entrer dans son monde, je ne serais pas ce que je suis.

Les « si », ils nous gardent en vie, ils sont notre touche d'espoir, ils sont notre mélancolie.

Mon regard se pose sur la source de ces incessantes vibrations. Je ne saurais compter le nombre de fois où voir son nom s'afficher m'a procuré de la colère ces derniers jours.

J'ai essayé d'éviter ce moment, de le repousser, mais alors que j'attends depuis une dizaine de minutes devant cet immense building, peut-être est-ce le bon moment.

- Figlio ?

- Tu m'as menti. Ce jour-là, tu as dit qu'aussi longtemps que tu vivrais, que tu respirerais, tu la protégerais. Tu m'as menti. Alors maintenant, même si je ne peux pas te regarder dans les yeux, aie la décence de me dire que tu le savais, que tu le savais et que tu ne m'as rien dit.

- Je le savais. Je l'ai toujours su.

- Alors...pourquoi ?

- Il ne voulait pas, ton grand-père, selon lui, le seul moyen de te garder, de te protéger, était de te cacher sa mort.

- Me protéger ? Tu penses réellement que vous m'avez protégé ? Vous m'avez détruit, vous m'avez fait devenir le monstre que je suis. Tu ne m'as pas protégé, papa.

- Cristiano...

- Ce jour-là, je t'ai cru. Ce jour-là, j'ai eu la naïveté de te croire.

- Il était trop tard. Quand nous sommes arrivés sur place, il ne restait plus rien. La bombe, elle avait tout rasé sur son passage.

- Tu aurais dû me le dire. Maintenant...il est trop tard.

Ce sont les derniers mots que je dis avant de me tourner vers le bruit de la porte qui s'ouvre. Mes yeux se posent instantanément sur elle.

La Grosse Flores ?

Elle n'existe pas. Il y a seulement...Angelica. La fille au passé sombre, la fille à la case vierge.

Dans cette magnifique robe noire, je ne vois pas un seul défaut, il n'y a que... perfection.

Les diamants autour de son cou ne sauraient atteindre sa beauté. Pour une raison que j'ignore, je ne peux détacher mon regard du sien. Je ne peux m'extraire de sa beauté.

Seulement, tout a une fin. Personnellement, il me suffit de revoir son visage, ses yeux vides, de sentir la chaleur de sa main pour me faire revenir sur terre, dans nos univers.

- Je vais devoir te laisser, j'ai une vengeance qui m'attend.

POUR TOUJOURS ET À JAMAISOù les histoires vivent. Découvrez maintenant