Chapitre 1

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Molendibourg. Petite bourgade de la campagne française. Me voici enfin arrivée à destination après un épuisant voyage de trois jours. Les routes chaotiques ont eu raison de mes articulations et je ne rêve que d'un bon lit confortable. Ceux des auberges nous ayant accueillis pour les nuits passées sur la route n'étaient vraiment pas de première jeunesse. Le cocher décharge mes bagages de la diligence et les dépose à l'entrée de la propriété dans laquelle je vais prendre mes quartiers pour ces prochaines semaines. Je l'en remercie avant qu'il ne reprenne la route. Je n'ai rien à régler, Sœur Barbe s'est occupée de tout. Je me saisis d'un sac de voyage et me tourne face à mon nouveau logement. Un long muret en pierre délimite le terrain, un carré de terre est prévu pour quelques récoltes sur la partie droite et je me rends compte que la foret borde l'arrière de la propriété. Rien de tel pour que je me sente bien dans ces lieux malgré le contexte sombre qui m'amène ici.

Je pénètre le seuil de la porte et observe l'intérieur. Les poutres apparentes donnent du cachet à l'intérieur. Je me dirige dans le salon et dépose mon sac de voyage au pied du fauteuil. Un drap blanc le recouvre comme tout le reste du mobilier. Le haut clergé a tenu à ce que tout soit rangé comme si rien ne s'était jamais passé. Comme si Joselle n'était jamais venu ici. Comme si elle n'était pas morte. Je ne suis pas d'accord avec cette façon de faire, mais qu'est-ce que la voix d'une amnésique face à l'une des plus grandes forces de notre société ? Joselle était une amie très chère et je suis convaincue que sa mort n'a rien d'un accident comme on nous l'a laissé entendre. Voyant que je ne parviens pas à tourner la page, l'abbé Léonicius s'est organisé avec la mère supérieure pour m'envoyer sur les lieux de l'accident. Il espère que ce pèlerinage me permettra de faire mon deuil. Seulement, j'ai d'autres projets en tête et je compte bien profiter de la situation.

Je retire mes gants et mon chapeau en m'avançant vers le vaisselier en bois qui trône dans le salon. Je les y dépose et me dirige vers la fenêtre. Je tire les lourds rideaux et ouvre le battant pour aérer l'intérieur. Je retourne à l'extérieur pour récupérer le reste de mes bagages. J'attrape la poignée de mon dernier sac quand un couple qui passait par là, m'interpelle.

« Bien le bonjour, mademoiselle.

Je me redresse aussitôt. Je ne m'attendais pas à croiser quelqu'un aussi rapidement, d'autant que la maison est assez éloignée de l'entrée sud de la petite ville.

— Bonjour.

L'homme me sourit. Je constate qu'il est élégamment vêtu tout comme sa femme qui semble être attachée à la dernière mode. Probablement des notables au vu de la perruque poudrée que porte l'homme et celle, imposante, rose et surmontée de plumes denses, de fleurs et tissus de la femme qui l'accompagne.

— Permettez-moi de nous présenter. Je suis Fulvio Pluchart, adjoint municipal de Molendibourg. Et voici, ma très charmante épouse, madame Alfredine Pluchart.

Des gens importants, j'ai visé juste. Je dois absolument faire bonne impression sinon mon plan risque de tomber à l'eau. J'adresse un sourire lumineux à la femme pour me présenter.

— C'est un plaisir pour moi de vous rencontrer.

— Le plaisir est pour moi, mademoiselle ?

Le ton qu'elle emploie se veut aimable et chaleureux, mais j'ai comme l'impression que mon arrivée n'enchante pas madame Planchart. Toutefois, je me montre polie et décline mon identité.

— Luxilie de Sainte Sophie.

— Veuillez pardonnez ma curiosité, mademoiselle, mais avez-vous un lien de parenté avec la jeune fille qui a logé ici il y a peu ?

Je suis assez surprise que le mari se montre si rapidement intéressé par ma situation. Il est vrai que nous sommes dans une petite commune, je me doutais que les questions à mon sujet allaient aller bon train. Seulement, je pensais que j'aurais au moins le temps de m'installer pour y faire face. Quoi qu'il en soit, j'avais anticipé ces détails.

— Effectivement. Joselle était ma cousine.

Je marque une pause.

— Excusez-moi. Tout ceci est encore trop récent. Nous étions très proches, vous savez.

— Oh bien sûr, pardonnez mon mari, il ne voulait pas raviver de terribles souvenirs. Si cela peut vous offrir un peu de réconfort, sachez que mademoiselle Joselle était très appréciée au village depuis son arrivée. Sa perte a été une véritable tragédie pour tout le monde ici.

— Ma femme a raison. Je tenais simplement à vous connaître. Je n'avais pas connaissance de votre arrivée. Si ça avait été le cas, soyez sûre que nous vous aurions accueillie comme il se doit.

Je ne suis pas convaincue que ce couple est réellement sincère. Il faut dire que je ne fais confiance qu'à très peu de personne. Même au sein du clergé, je me montre méfiante. Probablement un effet secondaire de mon amnésie. Néanmoins, je ne me départis pas de mes bonnes manières.

— Je vous remercie de votre sollicitude.

Le couple me fixe, des sourires aux lèvres.

— Bien, avez-vous besoin de quelque chose ? Avez-vous tout ce qu'il vous faut pour votre installation ?

— Je crois que ça devrait aller. Je dois rendre visite au Père Germain pour l'informer de mon arrivée.

— Vous allez reprendre l'activité de votre cousine ?

— C'est en partie pour cela que je suis venue. Le Père Germain est seul pour s'occuper de la communauté. Je viens de l'Abbaye de Vallesheim.

Ma confession fait tressauter les lèvres de madame Pluchart qui s'évertue à conserver son sourire.

— Vous êtes dans les ordres ?

— Non, du tout. Les sœurs m'ont accueillies et je vis à leurs côtés depuis quelques années maintenant. Sans elles, je n'ose imaginer ce qui aurait pu m'arriver. Alors, pour les remercier, je m'efforce de me rendre utile au clergé en apportant mon aide tout comme ma cousine le faisait ici.

Mes paroles semblent la rassurer. J'ai comme l'impression que cette dame n'est pas très à l'aise avec la religion.

— C'est une très belle mission que vous suivez là. Nous sommes ravis de vous avoir rencontrée, mademoiselle. Il est temps pour nous de rentrer. N'hésitez pas si vous avez besoin de quoi que ce soit, il y a quelques jeunes gens au village qui se feront un plaisir de vous guider.

— Ce fut un plaisir partagé. J'aurais aimé pouvoir vous offrir un thé, mais je dois terminer mon installation et aller faire quelques courses en passant voir le Père Germain.

— Ne soyez pas désolée. Finissez votre installation, vous devez être bien éreintée par votre voyage. Nous ne devrions pas abuser de votre temps et nous aurons bien l'occasion de nous croiser au village.

— Mon mari a raison. Je me ferais une joie de vous présenter mes amies. Voyez-vous, nous sommes un petit groupe de dames qui apprécient de se retrouver autour d'un bon thé pour échanger sur les dernières modes. Je suis sûre que vous y seriez à votre aise.

Même si ce milieu ne m'attire pas le moins du monde, je dois tâcher d'en savoir plus. Toutes les informations que je pourrais recueillir sur la vie de Joselle dans cette commune sont des indices et je ne peux en écarter aucune.

— Je vous suis très reconnaissante de votre invitation. Joselle faisait-elle partie de votre groupe ?

Mme Pluchart se crispe imperceptiblement, mais ne laisse rien paraître.

— Malheureusement, non. Elle était si dévouée à l'Eglise, la belle enfant, que nous n'avons pas eu le temps de l'accueillir parmi notre cercle d'amies. Espérons qu'il n'en sera pas de même avec vous. »

Un sourire de façade sur le visage, je ne sais pas de quelle manière prendre cette dernière phrase. De toute façon, le couple ne m'en laisse pas le temps. Ils me saluent et reprennent leur route en direction du village.


Chimère - Luxilie de Ste SophieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant