Chapitre 3

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Sur les conseils de la femme du bourrelier, je me dirige vers la place principale. La rue où se situe l'épicerie débouche directement sur cette dernière. J'y arrive assez rapidement. Un grand bâtiment estampillé « mairie » se dresse sur ma droite et sur ma gauche se trouve l'office notarial. Je m'avance au centre de la place où trône une jolie fontaine dans laquelle s'écoule une eau claire. Un groupe de petites filles vêtues de jolies robes à froufrous s'amusent tout près pendant que des garçonnets courent dans tous les sens. Quelques femmes sont occupées à nettoyer leur linge au lavoir situé à l'extrémité de la place. Je continue ma route en passant devant ce qui semble servir de salle communale avant d'arriver devant l'entrée de la boucherie Valin. J'y pénètre et achète quelques pièces de viande avant de me rendre à la boulangerie située dans la rue juste derrière. La boulangère m'accueille chaleureusement comme tous les autres habitants de la ville. Elle m'apprend qu'elle tient la boulangerie avec sa sœur Cordélia depuis que leur mère les a quittés deux ans plus tôt. Leur frère, Wilmond, s'occupe du moulin et de la fabrication de la farine avec sa femme et ses deux enfants.

Mon panier au bras, je me dirige vers l'église. Il est temps que je rende visite au Père Germain. Je n'ai que deux rues à traverser car l'édifice de style gothique se situe à proximité de la place principale. C'est étrange, j'ai un profond respect pour les sœurs et le clergé qui m'ont prise sous leur aile. Grâce à eux, j'ai un foyer et une sécurité que je n'aurais pas pu espérer si je m'étais réveillée ailleurs. Pourtant, au fond de moi, je sens que je ne suis pas en symbiose avec cette philosophie de vie. J'ai la sensation que je n'ai rien à voir avec les personnes qui prennent soin de moi aujourd'hui comme si je venais d'un autre monde. Peut-être est-ce dû à mon amnésie. Je me suis réveillée un matin de décembre à l'abbaye. Sœur Barbe m'a expliqué que j'avais été retrouvée dans l'incendie d'un hôtel. Tout avait été détruit par les flammes, il ne restait plus un seul papier si bien que l'on n'a jamais pu consulter le registre pour savoir à quel nom je l'avais signé. Mes affaires ayant subi le même sort, nous étions dans une impasse. La seule chose dont je me souviens c'est mon prénom, Luxilie. Pour le reste, je ne sais pas qui je suis, d'où je viens, à quelle famille j'appartiens... Je ne sais même pas en quelle année je suis née. Puisque ce sont les sœurs qui m'ont recueillies et qu'elles ont pour habitude de s'occuper des enfants abandonnés, elles m'ont affublé du nom de la patronne des orphelins. C'est entre ces murs que j'ai fait la connaissance de Joselle. Sa mère l'avait déposée à l'abbaye à sa naissance. Elle m'a aidé à me reconstruire et elle s'est occupée de moi lorsque je suis revenue de chez les morts. Elle a été d'un grand soutien et nous nous sommes rapidement rapprochées si bien qu'il évident pour nous de nous présenter comme des cousines face aux autres. Ainsi, nous avions l'impression de ne plus être seules au monde. Du moins, jusqu'à ce que ce drame la frappe il y a quelques semaines. L'enquête a conclu à un accident. Un simple accident... Comme tout ce qui m'entoure depuis que je me suis réveillée, je ne crois à rien. C'est comme si un voile tentait de me bloquer la vérité. C'est pour ça que je méfie systématiquement de tout le monde et que j'ai la désagréable sensation que le clergé n'est pas un univers pour moi. Tout ceci est vraiment étrange. Pourquoi ai-je autant de mal à accepter le monde qui m'entoure ?

« Puis-je vous venir en aide, mon enfant ?

Je me retourne dans un sursaut, surprise par cette voix grave. Je comprends immédiatement de qui il s'agit.

— Oh, vous êtes le Père Germain ?

— En personne. Et vous, qui êtes-vous ?

J'incline respectueusement la tête.

— Luxilie de Sainte Sophie. C'est la sœur Barbe qui m'envoie.

— Je vois. Vous venez remplacer notre très regrettée Joselle.

Chimère - Luxilie de Ste SophieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant