Chapitre 12

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Je cours sans m'arrêter. Je bifurque à droite, à gauche, après ce bosquet puis derrière ce tronc. Ma gorge me brûle et mon cœur bat si vite que j'ai l'impression qu'il va exploser. Elmérias est toujours à mes trousses. Les muscles de mes jambes se crispent sous le manque d'échauffement, mais je m'efforce de tenir bon. On dirait que le chasseur a décidé de ne pas me laisser la moindre chance. Je pousse sur mes pieds. Ma robe, bien que je n'ai pas choisi la plus lourde aujourd'hui, se prend dans les branchages. Je tire dessus et la déchire. J'abandonne de larges morceaux de tissus tout au long de ma fuite pour gagner en aisance. J'entends l'homme me héler et ricaner dans mon dos. Mes bras nus sont couverts de griffures, mon visage doit être dans le même état. Je ne porte plus que ma chemise blanche en coton qui descend jusqu'à mes genoux. Mes bas sont tâchés et déchirés. L'une des attaches de ma jarretière gauche a lâché, mais je n'ai pas le temps de m'en préoccuper que j'entends mon poursuiveur se rapprocher. Tant pis si mon bas glisse, je m'en débarrasserai plus tard. Elmérias n'a pas tiré depuis le premier coup, on dirait qu'il cherche à profiter du moment comme tout chasseur qui se respecte. Je suis devenue la proie et je n'ai aucune chance de m'en sortir si je ne réfléchis pas à ce que je fais. Je décide de stopper ma course en me cachant derrière un épais buisson. Accroupie, j'observe les environs tout en essayant de percevoir le moindre bruit malgré mon pouls qui tambourine à mes oreilles. Je suis essoufflée alors je me concentre pour réguler ma respiration. Je dois à tout prix retrouver mon sang froid comme me l'a enseigné Licarion. Grâce à mon niveau, il ne me faut que quelques secondes pour y parvenir. Je peux enfin analyser la situation et réfléchir convenablement. Je vérifie qu'Elmérias est toujours assez loin de moi et je sors la carte de Joselle de ma poche. Je la parcoure fébrilement et repère ma position par rapport au monticule de pierres où sont cachées mes affaires. Je range rapidement le papier à sa place, je regarderai la route pour le village à ma prochaine étape. Je tends l'oreille et remarque que le chasseur s'est éloigné de moi. Heureusement que j'ai eu la présence d'esprit de changer de direction après avoir abandonné mes derniers lambeaux de robe. Cela va me permettre de gagner du temps en envoyant Elmérias sur une mauvaise piste.

Il me faut plusieurs minutes pour retrouver ma cachette. Je m'avance prudemment en tendant l'oreille. Pas un bruit. Je repère la bonne roche et la déplace. Je n'ai pas le temps d'attraper mon sac qu'un violent coup à la tête me projette sur le côté. J'étouffe un cri et porte ma main sur ma blessure. En levant les yeux, je découvre un Elmérias fier. Il devait attendre, bien caché dans les fourrés, que je vienne jusqu'à lui.

« La petite biche s'est fait prendre on dirait. »

Son air narquois me débecte. Mes doigts trouvent une pierre près de moi. Je l'enserre et la jette sur le chasseur. Il recule sous le coup du choc près de sa tempe et j'en profite pour me relever et prendre la fuite. Je parviens à échapper à un tir grâce à l'arbre derrière lequel je me cache. Je prends appui contre le tronc tandis que l'homme s'approche précipitamment en chargeant son fusil. Une branche à mes pieds attire mon attention. Je la ramasse prudemment et contourne discrètement le tronc pour surprendre Elmérias. Je tends les bras et abat mon arme improvisée sur mon poursuivant. Malheureusement, il a le réflexe de se retourner et de me repousser. Il brandit sa pétoire face à moi, seulement je n'ai pas dit mon dernier mot. Je parviens à le frapper avec le morceau de bois et à repartir entre les arbres. Dans ma précipitation, je ne regarde pas le sol et me prends le pied dans une racine qui dépasse du sol. La perte d'équilibre me fait dévaler une pente raide. Je roule sur moi sans parvenir à m'accrocher à quoi que ce soit pour interrompre ma chute. Je sens les branchages, les pierres et tout ce qui recouvre la terre, écorcher mon corps. Je suis lourdement stoppée par une souche. Je me recroqueville en gémissant de douleur et en me tenant le ventre qui a reçu tout le choc. Le souffle coupé, je tousse pour le retrouver. Cela laisse le temps au chasseur de me rejoindre.

J'essaye de me redresser sans succès en prenant appui sur mes coudes. Je m'effondre aussitôt. Les différents chocs que j'ai reçus durant ma chute ne m'aident pas. Je suis couverte d'ecchymoses et chaque parcelle de mon corps me fait mal. Je serre les dents pour faire taire la douleur. Mes paupières sont lourdes. Je les force à rester ouvertes tant bien que mal. Je relève un peu la tête pour tenter de déterminer où se trouve mon assaillant. Tout est flou autour de moi. Toutefois, je parviens à le distinguer, lui et le canon qu'il pointe sur moi. J'aurais tenu bon pour survivre jusqu'au bout. Seulement, le destin semble en avoir décidé autrement. Je ne pensais pas que ma vie se terminerait ainsi, abattue comme une bête sans le moindre égard. Je suis sur le point de me résigner quand une large patte noire se pose près de mon visage. Mon cœur s'emballe à nouveau et l'adrénaline me fait ouvrir de grands yeux. Je tremble et n'ose pas esquisser le moindre geste. Je pivote lentement ma tête vers le chasseur qui fixe la bête qui me surplombe, autant surprit que moi. Je ne vois pas l'animal, mais je comprends qu'il approche sa gueule de moi en poussant un grognement lourd et puissant qui me hérisse le poil. Un autre loup, gris celui-ci apparaît sur la droite d'Elmérias. L'animal le toise depuis une bosse de terre. J'entends des pas sortir de tous les côtés, je devine que la meute se rassemble autour de nous. Entre mourir d'une balle dans la tête ou finir dévorée par des animaux, le choix est vite fait. Je prierai presque le chasseur de faire feu pour ne pas subir une telle torture. Malgré la piqûre d'adrénaline, un voile blanc commence à couvrir mes yeux. Je parviens à tourner la tête vers le loup noir qui me regarde. J'ai à peine le temps d'apercevoir ce qui me semble être du bleu que je suis plongée dans les ténèbres. J'ai l'impression de ne plus toucher terre, c'est comme si je flottais, portée dans les airs.


Chimère - Luxilie de Ste SophieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant