J'arrive enfin au niveau du muret de la propriété. Je n'ai pas oublié ma rencontre de ce matin. Je regarde alors prudemment vers la forêt et l'arrière de la maison, une dague à la main bien camouflée sous un pan de ma robe au cas où une bête se jette soudainement sur moi. Je ne vois rien. Sans relâcher ma position, je pénètre dans mon jardin, aux aguets. J'avance lentement quand je me fige en percevant du bruit qui provient du côté droit de la bâtisse. On dirait quelque chose qui gratte le sol. Je bloque mon souffle et tends l'oreille. Les chants d'oiseaux n'ont pas cessé contrairement à ce matin, mais je ne suis pas pour autant rassurée. Le bruit s'interrompt et je décide de faire quelques pas dans cette direction. Je suis presque arrivée à l'endroit d'où cela provient. Mon cœur bat à tout rompre et je tente tant bien que mal de maîtriser mon souffle. Je me penche légèrement en avant de manière à distinguer l'arrière du mur quand quelque chose m'attrape l'épaule par derrière. Dans un bond, je me retourne aussitôt et projette mon bras vers l'intru. La dague effleure la peau de son cou et je la retiens juste à temps en me rendant compte qu'un homme se tient devant moi. Je souffle, soulagée, et m'empresse de ranger mon arme avant qu'il ne me pose trop de questions.
« Quel accueil ! Tu as de sacrés réflexes.
— Et toi, tu es sacrément impoli pour pénétrer dans ma propriété sans y avoir été invité.
Les dents serrées et un air agacé sur le visage, je le fixe droit dans les yeux. Il se gratte la nuque, gêné.
— Désolé. Tu n'étais pas là et mon père m'a demandé de t'apporter quelques stères de bois. Comme tu n'étais pas là et que je sais où il faut les entreposer, je me suis permis d'entrer.
Je soupire et jette furtivement quelques regards à la forêt. Je sais que son meilleur ami est le fils du chasseur. Même si la présence du loup ne m'a pas rassurée, je ne tiens pas à ce que l'animal soit chassé. Ma préoccupation ne passe pas inaperçue.
— Luxie ? Ça va ?
Surprise par ce surnom, je me tourne vers l'homme. Il a la carrure de son père. Des épaules carrées et des muscles particulièrement bien développés grâce à son travail de bûcheron. Il est imposant et doit facilement intimider beaucoup de monde. Son regard brun fait des aller-retours entre mes yeux et mes lèvres. Je ne sais pas ce qu'il a derrière la tête, mais ça ne me plaît pas.
— Ça va, oui. Et je m'appelle Luxilie.
Voyant que je ne suis pas sensible à sa proximité et à son surnom, il s'éclaircit la gorge en toussotant avant de reculer d'un pas.
— Luxilie, oui bien sûr. Excuse-moi, je ne voulais pas te vexée ou te manquer de respect.
Je me rends bien compte qu'il tente de se montrer correct. Je décide de mettre un peu d'eau dans mon vin.
— Je t'en prie, il n'y a pas de mal. Tu disais que tu as déposé les stères ?
Ravi de me voir m'ouvrir un peu, il répond sans attendre.
— Oui, tout est là.
Il m'invite à le suivre jusqu'à l'abri qui est contre la partie ouest de la maison.
— Il ne te restait plus grand-chose. Et tu n'as rien à réglé, tout est pris en charge par l'Eglise.
— Merci beaucoup.
Rodéald se tourne vers moi. Les bras croisés, je ne bouge pas. Il pose sa main sur mon poignet et le frôle de son pouce à plusieurs reprises. Sa voix se fait plus douce et plus basse.
— Je t'en prie et si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à venir me voir.
Il ponctue sa dernière phrase d'un clin d'œil puis repart en direction de chez lui. Je n'ai pas le temps de lui répondre et cela m'arrange bien. Je le laisse partir sans le retenir et rentre chez moi.
VOUS LISEZ
Chimère - Luxilie de Ste Sophie
FantastikLorsque sa meilleure amie décède dans un accident de calèche, Luxilie décide de se rendre sur le lieu de l'accident. En effet, celle-ci ne croit pas en la thèse du simple accident. La femme s'installe alors dans la petite bourgade de Molendibourg et...