Chapitre 4

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Le lendemain matin, je me lève aux aurores pour terminer le ménage et le rangement que j'avais entamés la veille en revenant du village. Vers dix heures, je fais un brin de toilette et me prépare pour mon rendez-vous avec Yolain. J'enfile un robe aux couleurs printanières et fixe un chapeau agrémentés de brins de blé et de fleurs des champs. Je prépare une ombrelle en dentelle blanche sur la table du salon et m'apprête à enfiler une paire de gants longs assortis à ma robe quand on frappe. Je me dirige vers l'entrée pour en ouvrir la porte. Un Yolain élégamment vêtu me sourit.

« Bonjour, j'espère que je ne suis pas trop en avance.

— Bonjour. Pas du tout.

Son sourire s'élargit alors qu'il me tend un bouquet de fleurs.

— Tenez, elles sont pour vous.

Je m'en saisis, les porte à mon nez pour en sentir les fragrances avant de le remercier.

— C'est très gentil, merci beaucoup. Entrez, je vous prie. Je vais aller les mettre dans un vase.

Je m'écarte de la porte pour lui permettre de pénétrer à l'intérieur tandis que je me dirige dans la cuisine. Je remplis un vase haut, y plonge le bouquet que je dispose ensuite sur la table de la salle à manger.

— Voulez-vous boire quelque chose avant que nous ne partions ?

— Non, je vous remercie. Nous pouvons y aller si vous êtes prête à partir.

— Très bien, je vous suis. »

Je prends mon ombrelle et suis Yolain à l'extérieur. Il récupère un panier en osier qu'il avait déposé près de la porte et je le laisse me guider.

La visite des lieux commence par le village. Je n'ai explorer que quelques rues à mon arrivée, c'est donc la bonne occasion pour en voir plus. Nous remontons le chemin que j'avais déjà emprunté la veille et prenons sur la gauche juste avant la maison du cabaretier. Yolain nous fait alors longer la rivière qui borde tout l'ouest de la commune, l'Arzon. Le paysage est magnifique. De grandes prairies d'herbe parfaitement verte s'étendent de l'autre côté. Je comprends pourquoi Joselle appréciait ce lieu. Je repense aux moments partagés avec elle quand la voix de Yolain m'empêche de me perdre dans la mélancolie.

« Remontons par cette rue. Je préfère vous épargner la partie ouest de Molendibourg.

Intriguée, je me tourne vers lui.

— Pour quelle raison ?

Je le vois rougir légèrement tout en toussotant.

— Oh, eh bien... Euh... Voyez-vous, la grande maison que l'on aperçoit d'ici est assez particulière. Elle est dirigée par Madame Blanchard.

— Dirigée ? Vous voulez dire qu'il s'agit d'une...

— ... Maison close, oui.

Bien que ce métier soit mal vu, je ne m'en formalise pas. Ce n'est pas la première que je vois et c'est monnaie courante de trouver ce genre de lieu un peu partout.

— Actuellement, six filles sont au service de Madame Blanchard. Il y a Elda, Flore, Ursule, Winifride, Enora et Enguérande. Tout le monde les connaît ici et vous les croiserez probablement si vous venez de temps en temps en ville.

— Dans un si petit village ? Cela ne créé-t-il pas des conflits ?

— Il y a bien déjà eu quelques accrochages, mais la tenancière a passé un marché avec les habitants. Nous les laissons tranquilles si elles se contentent de proposer leurs services uniquement aux hommes célibataires et aux voyageurs de passage. Molendibourg est proche d'une route très fréquentée et l'auberge est régulièrement pleine. Ce n'est pas difficile pour Madame Blanchard de trouver des clients pour ses filles. »

Nous continuons notre tour de la ville sous un magnifique soleil. Yolain en profite pour me présenter les villageois que nous croisons. Il ne va pas être facile de retenir tous les noms, mais au moins je sais où se situe chaque commerce de cette petite ville. Nous longeons la ferme des Hourdeau puis entreprenons de gravir la colline en haut de laquelle les pales du moulin tournent au gré du vent pour moudre la farine.

« Wilmond est le frère des boulangères.

— Oui, je me souviens. Lorsque je suis passée à la boulangerie hier, Cordélia s'est présentée et m'a expliquée que son frère fournissait la ville en farine avec sa femme et ses enfants.

Avec un mouvement de recul, Yolain me regarde avec un air surprit.

— Qu'y a-t-il ?

— Elle vous a parlé des enfants de son frère ?

La réaction de mon guide m'étonne, je ne comprends pas pourquoi cela semble tant l'intriguer.

— Oui. Enfin, elle m'a juste dit qu'il en avait deux. Rien de plus.

Nous longeons la propriété des Theillier tandis que l'homme s'explique.

— Leur fille Alma vit avec eux en effet. Elle les aide à tenir bon depuis la mort de son frère.

— Oh, je ne savais pas. Que s'est-il passé ?

Malgré le léger sourire qu'il m'adresse, Yolain détourne le regard pour se perdre dans la contemplation de la forêt sur notre droite. D'où nous sommes, je vois la propriété que j'occupe. Je me rends compte qu'elle est suffisamment éloignée pour que nous ne puissions pas voir l'intérieur de la maison ni la partie arrière sans compter le muret et les haies assez hautes pour cacher une partie de la cour intérieure. Pour une fervente pratiquante de l'adage « vivons heureux, vivons cachés », cela me convient parfaitement.

— Il a été tué il y a quatre ans par ce qui semble être un animal sauvage. Personne n'est parvenu à déterminer de quoi il s'agissait exactement, mais la meute de loups et les lynx qui occupent cette forêt sont forcément les suspects principaux. Léonard n'avait que cinq ans.

Cette nouvelle me glace si bien que je place ma main libre devant ma bouche pour la couvrir.

— Quelle horreur ! Pauvre enfant, il a dû vivre un véritable calvaire. Je n'imagine même pas ce qu'il a pu ressentir lorsqu'il a compris ce qui lui arrivait. Et ses pauvres parents, ils ont dû être anéantis.

— Sa mère est restée cloîtrée durant des mois. Plusieurs battues ont été organisées pour tenter d'éradiquer les prédateurs de la forêt. Énormément d'animaux ont été massacrés.

Soudainement, la petite commune tranquille ne me semble plus si belle. Bien sûr, chaque ville connaît son lot de drames, mais celui-ci est particulièrement horrible.

— Je suis désolé, je ne voudrais pas gâcher la journée avec de si sombres informations.

Je lui offre un magnifique sourire pour le rassurer.

— Ne vous en faites pas, vous ne gâcher rien. Cela m'évitera de faire une erreur si je croise une personne de cette famille ».

Il m'adresse un regard doux et m'entraîne au milieu d'un près fleuris au cœur duquel il m'invite à m'installer après avoir étaler une nape au sol.

Nous passons l'après-midi sans être dérangés. Le soleil brille et il fait suffisamment chaud pour ne pas être gênés par la légère brise. Les nombreuses fleurs multicolores nous enveloppent de leur parfum. Nous parlons des heures durant tout en dégustant de très bonnes choses. Yolain semble être plein de surprises et surtout très doué de ses doigts. Il n'est vraiment pas surprenant que Joselle ait craqué sur lui. Il représente tout ce que nous apprécions chez les hommes.


Chimère - Luxilie de Ste SophieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant