Le Professeur

18

Lorsque je comprends que le lieu, où m'a emmené Liam, s'avère être un cimetière se trouvant dans un petit village à une heure de Bordeaux, je me tourne vers lui avec une mine consternée.

-Quoi? Tu prévois de m'assassiner, maintenant?

Il me lance un regard de travers.

-Ne dis pas de conneries, tu étais consentante quand tu as accepté de venir ici.

-C'est ce que tu prévois de dire au juge pour ta défense ? Je rétorque avec sarcasme.

Il ne répond rien et me tourne le dos. Depuis la dernière séance du tutorat, ce sont les premières phrases que nous échangeons. Pas que j'espérais une rencontre chaleureuse, je suis toujours furieuse contre lui, mais je pensais que l'ambiance serait un peu plus légère. Au lieu de ça, c'est à peine si on ose confronter le regard de l'autre.

Liam se saisit d'un bouquet de Lierres et de Chrysanthèmes dans le coffre puis ferme sa voiture.

Je me mords la lèvre, comprenant que j'ai peut-être fait une blague de trop, il est évident que cet endroit tient Liam à coeur.

-Désolée. Ma remarque était déplacée.

Nous pénétrons dans l'enceinte du cimetière sans prononcer un mot. Je marche lentement dans les pas de Liam en examinant le lieu, ne souhaitant pas m'attarder sur le dos sculpté sous la chemise de mon professeur. Bien que l'endroit est censé susciter le respect et la paix éternelle, les vieux papiers de barres chocolatées et les sacs plastiques qui jonchent le sol indiquent clairement le mépris des gens pour ce lieu.

Je me rends rarement dans un cimetière mais je me souviens de celui où est enterrée ma grand-mère. L'herbe était verdoyante, des fleurs colorées égayaient le marbre sombre et le calme inspirait le repos des morts. Ici, je me sens mal à l'aise. Le temps menaçant ou la compagnie de Liam sèment probablement le trouble dans mon esprit, cependant le craquement des feuilles mortes me fait tressaillir à chacun de mes pas et la nervosité me gagne de plus en plus à chaque fois que mes yeux parcourent l'identité des morts. Moi qui était si curieuse du passé de Liam, je me rends compte que je crains ce que je m'apprête à découvrir. Je n'ai jamais mesuré le poids que pouvait porter mon professeur sur ses épaules derrière l'immense carapace qu'il s'est forgée.

On finit par s'arrêter devant une tombe plutôt modeste sur laquelle repose le nom de Simon Wirs. Vu les dates gravées, il n'était âgé que de neuf ans quand il est décédé. Je me demande quel lien Liam peut-il partager avec cet enfant.

J'observe Liam retirer d'un vase un vieux bouquet contenant une quinzaine de roses fanées pour le remplacer par les fleurs qu'il a apportées. Il clos les paupières quelques instants pour se recueillir. Mon coeur se serre à cette vision. Lorsqu'il rouvre les yeux, je prends la parole.

-Qui est-ce? Je demande d'une voix étranglée.

-Mon petit frère.

Ma respiration se coupe à cet aveu. Si mes calculs sont bons, il est mort alors que Liam n'était encore qu'au collège. Il a dû être terriblement affecté par cette perte.

J'hésite à poursuivre mes questions. Je n'ai pas envie de me montrer insistante et de le blesser à cause d'une curiosité mal placée.

-Pose toutes les questions que tu as, on est là pour ça, déclare Liam en constatant mon malaise.

Je me racle la gorge.

-En fait, je ne sais pas trop où commencer.

Liam balance sa tête en arrière en passant une main dans ses cheveux sombres.