Ombre solitaire : une vie de mensonges.

Euphorie

- Il est là n'est-ce pas ?

- Non mère répondit la jeune fille lascivement à cette question qu'elle avait entendu en boucle et qu'elle redoutait d'être dite, car elle savait pertinemment le dénouement de cette conversation

- Ramène-le-moi s'il te plait, tu veux bien ma petite fille sage ?

Touchée par les mots attendrissants et son regard pétillant de vie, la fillette ouvrit ses fins bras pour embrasser sa mère. Elle en avait terriblement besoin. Elle ne se souvenait plus la dernière fois qu'un tel moment de tendresse avait pu avoir lieu. Peu importe, tout ce qui comptait c'était le parfum à la fleur d'hibiscus de sa mère, celui qu'elle aimait tant. Cet instant fugace prit fin lorsqu'une violente main s'abattit sur sa joue potelée, celle-là même qui était autrefois empoignée et cajolée par sa mère. Hystérique, cette dernière hurlait dans la chambre de lui ramener l'être tant convoité. Elle déversait sa folie sur le corps frêle de l'enfant. Les pleurs et les cris ne servaient à rien et ne faisaient qu'amplifier le capharnaüm de la pièce. Bientôt des témoins interviendraient, elle le savait et comptait là-dessus pour s'accrocher à la vie, malgré la pluie de coups qui s'abattaient sur elle. Bientôt quelqu'un viendrait les aider. Sa mère et elle. C'était ce qu'on lui avait appris. Les adultes étaient présents pour protéger les enfants, c'était leur devoir de prêter assistance aux plus faibles.

Bientôt tout cela ne serait plus qu'un vilain cauchemar, on viendrait les sauver il le fallait.

Bientôt.

Mes paupières pèsent le poids d'un homme mort, collées fermement entre elles, refusant de s'ouvrir pour observer la personne que je sens à mes côtés. La délicatesse de la paume qui caresse ma main, crispée sur les fibres soyeuses du tissu sur lequel je suis allongée, apaise mon esprit tourmenté. Ma bouche asséchée me brûle désagréablement lorsque j'avale péniblement ma salive. Ce geste parut soulager la personne à mes côtés qui soupire grossièrement de soulagement. Mon pouvoir est toujours présent. Fébrile, silencieux, je le sens dans mes membres engourdis par mon inactivité prolongée.

Voilà fort longtemps que les cauchemars n'ont plus envahis mes songes. Mes ténèbres ont failli à me protéger, elles ne m'ont pas embaumées de leur cocon soyeux et rassurant et les sombres spectres oubliés sont venus danser sous mes paupières. Narguant mon esprit laissé pour compte, sans la moindre échappatoire.

Tandis que je parviens à entrouvrir les yeux, éblouis par la lumière matinale qui transperce à travers les fins voilages qui encadrent le lit, le visage d'Isidora apparaît au-dessus du mien. Son faciès, marqué par la fatigue, témoigne de l'inquiétude que mon état a suscité en elle. De lourdes poches d'eau encerclent ses pupilles dilatées par la surprise.

- Votre Altesse ! chuine-t-elle la gorge coincée par un nœud d'émotions sincères

Alors que je me redresse dans ma couche encore ensommeillée, elle se jette dans mes bras dans une étreinte chaleureuse. Jamais un tel acte charnel n'avait été aussi communicatif. A travers cette embrassade, je discerne l'authenticité des sentiments qu'elle éprouve à mon égard. Au-delà de sa servilité, je prends pleinement conscience de son caractère empathique, maternel mais surtout amical.

- Vous m'aviez dit de me comporter avec vous comme avec mes proches, voilà ce que je leur fais. Souvent même, un peu trop d'ailleurs selon eux, mais j'en ai besoin et... et apparemment cela procure énormément de bien, d'autant plus après une épreuve difficile, enfin je sais que vous êtes très solide ma Majesté. Je pense que c'était plus par pur égoïsme, pour me rendre compte que vous allez réellement bien débite-t-elle maladroitement en s'écartant de mon corps.

Le moulin a parole n'est décidément pas si éreinté que je le pensais.

Sa chaleur réconfortante imprégnant encore mon âme, je l'observe se redresser et m'apporter un verre d'eau que j'engloutie d'une traite, apaisant ainsi la sécheresse irritant mon palais.