Temps mort

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Les jours suivants s'enchaînent sans accros. Ballottée entre les réunions d'affaires avec les représentants des différentes familles et mes propres devoirs royaux, je peine à trouver un moment où je pourrai investiguer sur la famille liée au sang. Même si officieusement uniquement le souverain est censé y assister ce dernier a tenu à ce que je sois présente étant donné notre double gouvernance cachée. Nous avons pu obtenir notamment de la part des Kori, des vols réguliers de leurs cavaliers de glace à la jonction de nos frontières communes plus précisément autour des points stratégiques miniers. En contrepartie Frost devient notre partenaire privilégié pour le métal précieux.

Je n'ai pas pu questionner mon père qui passe la plupart de son temps auprès de nos effectifs militaires, ni l'informer sur la fuite de notre récente attaque même si je ne doute pas que les valets ont dû tout lui rapporter.

Je me retrouve donc dans la salle du purgatoire situé dans l'aile Ouest du château abritant la partie administrative, en compagnie des conseillers de mon père, Arslen, Brinot et Velta afin de juger des péchés ayant eu lieu dans notre royaume. Vol, escroquerie, violences conjugales, actes à caractère racial tout y passe.

Notre peuple est invité à y assister afin de dissuader quiconque de reproduire les actes répréhensibles commis sur nos terres. Nos convives ont également été conviés à y participer. J'ai pu remarquer du coin de l'œil, ma marionnette d'un soir, s'agiter pour signifier sa présence. Est-il déjà sous le charme ? Cela me réjouit car il n'a pas l'air contrarié quant à l'événement de l'autre soir. Une pointe de remords m'étreint la poitrine face à cet homme qui s'est confié à cœur ouvert et qui m'a inconsciemment délivré d'une joute verbale déplaisante. Avant son départ, il me faut lui exprimer ma reconnaissance.

Cette séance là hautement plébiscitée se déroule exceptionnellement par ordre croissant de gravité des actes, afin de garder le plus réjouissant pour la fin. Pour marquer le coup.

Les personnes sont jugées coupables ou acquittées par l'assemblée présente ainsi que par les représentants de l'autorité, les trois conseillers. Si désaccord il subsiste, je suis l'unique décisionnaire.

Les condamnations vont de la simple dette pécuniaire envers la royauté, à l'isolement dans les geôles sous les montagnes volcaniques qui entourent Nostria. Les exécutions se font rares car notre peuple sait être juste.

Le dernier accusé à faire son entrée est un homme d'une trentaine d'années, à la musculature imposante, aux mains calleuses, sûrement un ouvrier.

- Mr. Credan, fils du maître forgeron du quartier Est et frère du père de la victime, est accusé d'attouchement sexuel envers la dernière fille de son frère, par la mère ici présente.

La présumée victime présente sur le banc, entourée de sa mère et de son père, reste stoïque face à l'expression, par le greffier, de l'acte qu'il aurait commis sur elle. Ce dernier relate les circonstances dans lesquelles se serait passé le crime ; ivresse, complicité, chemise de soie sont les seuls mots que j'arrive encore à capter. Mon attention est entièrement tournée vers cette jeune fille à peine entrée dans la fleur de l'âge, son carré inégal entourant son visage enfantin, lui procurant pourtant quelques années de plus. Son regard vide, fixé droit devant elle, m'est douloureusement familier. Celui de la honte masquée, de la crasse, tenace, effacée au fil du temps. Un regard qui implorait de l'aide fût un temps et qui a peu à peu perdu sa flamme. Tandis que l'accusé décrit son récit, je me téléporte en face de cette poupée déshumanisée. Ses parents, aux visages stupéfaits, s'inclinent machinalement devant moi et enjoint leur fille à faire de même. Cette dernière ne bouge pas comme absente, spectatrice de cette réalité qui n'est plus la sienne.

Ombre solitaire : une vie de mensonges.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant